Economie
Suisse

En colère, Frédérique Beauvois raconte le cauchemar infini des bistrots

Frédérique Beauvois
Co-organisatrice du collectif #qui va payer l'addition, Frédérique Beauvois défend les cafés-restaurants mais aussi les autres indépendants. Image: Watson

Entre colère et injustice, elle raconte la galère sans fin des bistrots

À l'image des discothèques et des fitness, les bistrots n'en finissent pas de galérer avec les va-et-vient des mesures anti-Covid. Et ce n'est certainement pas fini avec les annonces du Conseil fédéral attendues cet après-midi. Récit en cinq étapes de quatorze mois cauchemardesques.
26.05.2021, 06:1426.05.2021, 18:28
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Les quatorze derniers mois ont ressemblé à un cauchemar sans fin pour les bistrots. Co-organisatrice du collectif #qui va payer l'addition, Frédérique Beauvois a accepté de nous raconter cette pandémie dont ils ne sont pas sortis et qui va laisser des traces.

Ouverture, fermeture, réouverture, refermeture...

«C'était un tsunami qui nous ballotait d'un côté et de l'autre. Une fois à droite, une fois à gauche. Par exemple, on devait rouvrir le 9 décembre et le 8, le jour avant, on apprend qu'on devra fermer tous les soirs à 19 heures. Cette fois-là, j'ai pleuré. C'était comme dans un jeu-vidéo, à chaque fois, les autorités complexifient un peu plus la difficulté et on regarde si on va réussir à s'en sortir. Je l'ai vécu comme une absence de respect pour les travailleurs que nous sommes et qui n'ont jamais rien fait de mal. Il en restera un traumatisme durable dans le monde de la restauration».

«Les restaurateurs ont perdu confiance dans le gouvernement»

«On était fermés et on voyait le Black Friday dans les magasins. Alors, tant mieux pour eux, les commerces étaient ouverts mais, pour nous, c'était incompréhensible et incohérent. À chaque fermeture, c'est une baffe énorme, surtout que c'est toujours annoncé au dernier moment. Fermer ou rouvrir un restaurant, cela coûte énormément d'argent. Il y a les matières premières, mais il faut aussi tout ranger, tout nettoyer, préparer la mise en place. Et il y a l'aspect émotionnel. Le plus dur, c'était la deuxième fermeture. On était en train de crever, on n'avait aucune indemnité, aucune perspective. Franchement, je pensais qu'on n'allait jamais s'en sortir...»

Des mesures sanitaires
complexes à appliquer

«Une fois un mètre cinquante entre les tables, une fois un mètre cinquante entre les chaises, une fois du plexiglas, une fois de la musique, une fois pas de musique, on ne savait plus où on en était, cela changeait tout le temps. On a tout respecté parce que nous on veut travailler, on veut gagner nos vies. Personne n'a râlé pour le prix des plexiglas. Dans la restauration, cela fait partie du jeu de respecter les règles. Mais les mesures sanitaires, notamment la distance sociale, pouvaient réduire de moitié l'exploitation d'un restaurant. On a dû être intelligent pour survivre. Bien réfléchir combien on pouvait investir dans les plexiglas, alors qu'on n'avait aucun revenu».

«Est-ce que quelqu'un dit merci aux restaurateurs pour tous les efforts fournis?»

«Notre secteur a réussi à s'adapter à toutes ces mesures, c'est impressionnant! Mais est-ce que c'est notre job de faire appliquer toutes ces règles? De négocier cinq minutes avec chacun pour qu'il fasse le Social Pass? De vérifier que le client qui entre s'est bien désinfecté les mains? Le problème, c'est que s'il y a un contrôle, c'est sur nous que ça tombe. La personne qui va aux toilettes sans son masque parce qu'elle en a marre de le porter, est-ce qu'elle se rend compte qu'on risque notre mort si on est fermé pour mesures administratives et qu'on ne reçoit plus d'indemnités?»

Le soutien de l'Etat:
un dû, pas une aumône

«Du 17 mars 2020 au 15 janvier 2021, on recevait les RHT pour nos employés, mais on n'a reçu aucune indemnité pour couvrir nos autres charges: les loyers, l'électricité, les charges sociales, etc. L'Etat prend la responsabilité de nous fermer, il doit nous indemniser pour les dommages. Les RHT, ce n'est pas une aide, c'est une assurance. On cotise tous les mois, c'est normal qu'on y ait droit le jour où on en a besoin. La solidarité, cela doit aller dans les deux sens».

«Vous ne pouvez pas nous empêcher de travailler et ne pas nous donner les moyens de payer nos factures»

«Nous avons collaboré en appliquant des mesures sanitaires pour préserver la collectivité, ce n'est pas juste que ce soit à nous de payer pour ça. Cela doit aller ensemble: vous nous fermez, vous versez une juste et pleine indemnité pour nos charges. Nous, on cherche le match nul mais on n'y est pas du tout pour le moment. 25% de notre chiffre d'affaires, cela représente les charges qu'on ne peut pas réduire. C'est communément admis. Alors pourquoi est-ce que le Conseil fédéral fixe un plafond incohérent pour l'aide pour les cas de rigueur de maximum 20% de notre chiffre d'affaires? Et ce n'est même pas par année, mais pour l'ensemble de la crise».

Une communication kafkaïenne avec les autorités

«On a bien conscience qu'on est dans des mesures d'urgence et que ce n'est pas simple à gérer pour le Conseil fédéral, mais on ne comprend pas l'incohérence de leur communication. Après, nous, notre but ce n'est pas de comprendre, mais de survivre. Sur certains points administratifs, les échanges avec les fonctionnaires étaient parfois kafkaïens, j'avais l'impression qu'on essayait de mettre des ronds dans des carrés».

«Pour nous, il y a l'urgence de payer ce qu'on doit à la fin du mois. On n'a pas le temps d'attendre que l'administration décide»

«Mais notre objectif n'est pas de critiquer tout le temps, on veut aussi construire. C'est pour cela qu'il était très important d'informer. On s'est rendu compte qu'il y avait une méconnaissance de notre métier parmi les élus. Pour qu'ils nous soutiennent, il faut qu'ils comprennent les enjeux, donc on a passé des heures au téléphone à essayer d'expliquer, de simplifier. J'ai l'impression qu'on a été entendu, mais le problème, c'est que le temps politique est bien plus long que celui des indépendants. Ils nous écoutent, mais ils agissent trop lentement et pas jusqu'au bout. Ça, c'est fatiguant».

Prêt Covid, vacances,
un avenir précarisé

«Je vois trois enjeux principaux pour le futur de notre secteur. Tout d'abord, il y a ces aides plafonnées à maximum 20% du chiffre d'affaires dont j'ai déjà parlé. Mais il y a un autre problème sur lequel nous attirons l'attention depuis plusieurs semaines, ce sont les vacances. Les RHT ne sont pas considérées comme des congés donc pile quand on va rouvrir, quand on aura le plus besoin de nos employés, on va devoir leur donner des vacances et payer des gens pour les remplacer. Pour les bistrots qui surnagent aujourd'hui, ça risque de leur mettre la tête sous l'eau».

«On ne veut plus du règne de l'aléatoire, de l'absurdité et de l'incohérence»

«Le troisième enjeu, ce sont les prêts Covid. On s'est endetté jusqu'à 10% de notre chiffre d'affaires et on doit les rembourser dans les neuf prochaines années. Cela va être très compliqué, surtout dans une économie qui se relance. Et on ne sait pas comment la crise va modifier les habitudes des consommateurs. Le gars qui mange tous les jours devant son écran, est-ce qu'il va retourner au restaurant? Ces trois enjeux vont précariser mes collègues dans les prochains mois, mais j'ai confiance dans la résilience du secteur».

«De notre côté, on doit bétonner notre futur. On ne peut pas se permettre de revivre ce qu'on a vécu: il doit être écrit quelque part que l'Etat doit indemniser les fermetures. Et les indemniser à 100%. Là, je pense à nos employés qui ne reçoivent que 80% de leur salaire depuis le début de la crise».

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source: keystone / valentin flauraud
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