Le 11 septembre a-t-il joué un rôle dans l'apparition des théories du complot telles que nous les connaissons aujourd'hui?
Pascal Wagner-Egger: Oui, il marque la naissance des théories du complot modernes, dans le sens où cette théorie s'est très vite répandue sur Internet. C'est aussi l'une des plus populaires, car elle s'est propagée dans de nombreux pays, notamment grâce à l'anti-américanisme et cette idée que les Etats-Unis faisaient la police dans le monde.
En quoi cet événement était-il fertile pour ce genre d'interrogations?
Il y a tout l'aspect technique, on n'avait jamais vu tomber une tour suite à un accident d'avion, cela a vraiment surpris les gens. Beaucoup d'ingénieurs à la retraite se sont passionnés pour la chute des tours avec tous ces détails en apparence bizarres. Si on analyse n'importe quelle version officielle, il y a toujours des éléments qui vont nous surprendre. Avec le 11 septembre, il y avait également un côté hollywoodien sans précédent. Cet aspect émotionnel crée de l'anxiété, ce qui appelle un besoin d'explication.
Quelle a été l'importance d'Internet, dont c'était l'avènement au début des années 2000?
Pour la première fois, on s'est rendu compte que sur Internet, on peut être submergé d'informations qui ne vont que dans un sens. Sur YouTube, par exemple, on retrouvait énormément de vidéos mettant en avant les théories du complot. Forcément, ce biais de confirmation a aussi participé à développer les croyances. L'énorme succès de ces théories s'explique également par le fait que, très rapidement, ces informations ont été disponibles dans le monde entier pour des milliards d'individus. Il y avait aussi des théories du complot par le passé, mais elles circulaient par le bouche-à-oreille et finissaient par disparaître. Avec Internet, cela reste pour l'éternité.
Aujourd'hui, selon vous, il reste encore de grandes zones d'ombre sur ce qu'il s'est passé ce jour-là?
Non. Certains ne sont peut-être pas d'accord, mais tout ce qui peut paraître bizarre aux yeux d'un complotiste a une explication. Et si vraiment il y a un complot, les zones d'ombre ne sont pas suffisantes pour l'établir. Le problème, c'est que les gens y croient sans preuve. Cela peut changer, il peut y avoir de nouveaux éléments, une enquête qui est ouverte, mais pour le moment, ce n'est pas le cas. Il faut rappeler que dans d'autres cas, par exemple les tortures dans les prisons américaines, il y a eu des fuites:
Malgré l'absence de preuves, certains, 20 ans après, continuent de s'acharner. Comment l'expliquez-vous?
Ce qui est fascinant avec les croyances, c'est qu'on ne peut pas prouver qu'elles sont fausses. Donc on pourra toujours croire, c'est la même chose avec Dieu. Certains continuent aussi d'y croire, parce que ce n'est pas facile de reconnaître que l'on s'est trompé durant toutes ces années.
Mais ont-ils toujours la même passion, la même énergie?
Non, j'ai l'impression que les complotistes passent maintenant à autre chose, le Covid, par exemple. Au bout d'un moment, on ne peut pas inventer de nouveaux arguments, tout a été dit. J'ai donc le sentiment que plus le temps passe, plus cela va s'essouffler.
Ceux qui doutent du 11 septembre sont-ils plus susceptibles de remettre en question la version officielle d'autres événements, comme la pandémie?
Oui, on trouve très souvent une mentalité complotiste. Ceux qui croient à une théorie, croient à d'autres. C'est vraiment un cercle vicieux. Il y a aussi des gens qui ont une attitude anti-système et qui veulent penser que les gouvernements nous mentent. Il faut comprendre que les théories du complot sont un discours de revanche contre les élites qui permettent à certains d'expliquer pourquoi ils sont dans une situation défavorisée. Elles ont autant de succès, parce que la pauvreté et les inégalités font qu'une partie de la population ne se reconnaît plus dans la démocratie.
«Psychologie des croyances aux théories du complot», PUG, 2021