Une centaine de civils ont été tués au Soudan. Tirs et explosions secouent Khartoum sans discontinuer lundi, au troisième jour de combats entre l'armée, fidèle au général Abdel Fattah al-Burhane, et la puissante force paramilitaire du général Mohamed Hamdane Daglo. Dans la capitale Khartoum, baignée dans une odeur de poudre, privée en partie d'eau et d'électricité, les habitants sont barricadés chez eux alors qu'une épaisse fumée noire monte du centre-ville où siègent les institutions politiques et militaires. Des centaines d'autres civils et soldats ont été blessés ce week-end, a annoncé une association de médecins.
Alors qu'aucune trêve ne se dessine, médecins et humanitaires tirent la sonnette d'alarme. Dans certains quartiers de Khartoum, l'électricité est totalement coupée depuis samedi, comme l'eau courante.
Des médecins ont annoncé des coupures d'électricité dans des salles d'opération et selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS):
Les patients, parfois des enfants, et leurs proches «n'ont plus ni à boire ni à manger», a affirmé un réseau de médecins pro-démocratie, disant ne plus pouvoir laisser partir en sécurité les patients soignés, ce qui crée «un engorgement qui empêche de s'occuper de tous».
Pour le troisième jour consécutif, de violents combats ont été signalés, lundi 16 avril, entre l'armée régulière et les forces paramilitaires Rapid Support Forces (RSF). Les opposants en uniforme luttent pour le contrôle des aéroports, des bâtiments gouvernementaux et des chaînes de télévision. Des chars et des chasseurs-bombardiers ont été utilisés.
La maison du chef d'Etat militaire de transition, le général Abdel Fattah al-Burhan, a également été visée par des combattants de la RSF. Selon les médias locaux, il se trouverait dans un lieu tenu secret. L'armée a occupé les ponts sur le Nil qui relient Khartoum à la ville voisine d'Omdurman. Des combats ont aussi été signalés dans d'autres régions du pays. Face à la situation, Mohamed Osman, chercheur sur le Soudan à Human Rights Watch (HRW) s'est montré très critique:
Les combats de ce week-end ont lieu dans une «zone densément peuplée». Les deux parties doivent protéger les habitants et les installations civiles, demande le spécialiste des droits de l'homme.
Le Soudan n'arrive tout simplement pas à retrouver le calme. En avril 2019, des manifestants et des militaires avaient renversé le dictateur de longue date Omar al-Bashir. Mais plutôt qu'un retour à la démocratie, c'est l'administration militaire qui a pris le relais.
Depuis lors, de nouvelles manifestations ont éclaté. Les manifestants réclamant le retour à un gouvernement civil. Les autorités militaires ont retardé la transition à plusieurs reprises. En 2021, les forces de l'ordre ont renversé le Premier ministre civil Abdallah Hamdok lors d'un nouveau coup d'Etat.
La cause de la récente escalade pourrait être un conflit entre l'armée et la RSF sur l'avenir du Soudan. La RSF, forte d'environ 100 000 combattants, est accusée de violations grossières des droits de l'homme; elle serait responsable de la mort de dizaines de militants pro-démocratie.
Dans le cadre du processus de transition vers un gouvernement civil, la RSF devait être intégrée à l'armée régulière. Le rôle du chef de la RSF, Mohamed Hamdan Dagalo, qui fait également office de vice-chef d'État sous le gouvernement militaire, semblait incertain.
Ce week-end, plusieurs gouvernements ont condamné les combats. L'Union africaine et l'Union européenne (UA, UE) ont appelé à un cessez-le-feu immédiat. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé les deux adversaires au dialogue:
Entre-temps, l'épreuve de force des hommes armés au Soudan suscite l'incompréhension. «Les généraux et les chefs de guerre» mènent leur lutte pour le pays et ses ressources sur le dos de «citoyens innocents», a fait savoir en ligne l'influente SPA, l'association des professionnels soudanais. Le Premier ministre renversé Hamdok a appelé à la «raison»:
Le gouvernement du Soudan du Sud a également fait part de sa «profonde inquiétude». Le pays s'est séparé de son voisin du nord en 2011 après une guerre d'indépendance et un référendum. Le président Salva Kiir Mayardit est actuellement en «contact étroit» avec les dirigeants soudanais, a annoncé le ministre sud-soudanais des Affaires étrangères Deng Dau Deng. Il a «l'espoir» que le Sud, autrefois opprimé par le Soudan, puisse désormais contribuer à un processus de désescalade.
Entre-temps, Human Rights Watch (HRW) accuse la communauté internationale d'avoir échoué: personne n'a demandé aux chefs militaires de rendre des comptes pour leurs violations des droits après le coup d'Etat. Les activistes demandent une «réponse rapide et tangible» à la situation actuelle. Le Conseil de sécurité mondial doit appeler à la protection des civils lors d'une réunion d'urgence, estime HRW. (aargauerzeitung.ch)
Traduit et adapté de l'allemand par Nicolas Varin