Depuis que Donald Trump est entré sur la scène politique américaine, il se passe des choses qui étaient auparavant impensables. Un nouvel épisode est venu s'ajouter lundi à cette saga politico-judiciaire digne d'un film hollywoodien. Pour la toute première fois, la propriété d'un ex-président a été perquisitionnée par la police fédérale (FBI). La «rafle» concernait l'utilisation par Trump de documents datant de sa période à la Maison-Blanche.
Lors de la perquisition de la résidence de Mar-a-Lago en Floride, Donald Trump n'était apparemment pas présent. Il l'a qualifiée, comme à son habitude, de «persécution politique» par des «démocrates radicaux de gauche». Pour les observateurs politiques américains, il est toutefois clair que l'action du FBI n'aurait pas été possible sans un ordre du ministère de la Justice.
Le ministère public, la plus haute autorité d'accusation du pays, a ouvert deux enquêtes contre Donald Trump. L'une concerne sa gestion parfois peu scrupuleuse de documents - dont du matériel classifié - qui devraient être archivés conformément à la loi. La seconde enquête porte sur les événements du 6 janvier 2021.
La commission spéciale de la Chambre des représentants et les auditions retransmises en direct ont mis au jour une quantité importante de documents à charge contre Trump. Ce jour-là, l'ex-président avait encouragé ses partisans à prendre d'assaut le Capitole pour empêcher la certification de la victoire de Joe Biden par le Congrès.
La pression s'accroît donc sur le ministre de la Justice et procureur général, Merrick Garland, pour qu'il inculpe Trump de tentative de coup d'Etat. Mais Garland hésite, au grand dam de l'aile gauche des démocrates. Il doit prendre «une décision qui est en fait trop grande pour une seule personne», peut-on lire dans une analyse du Spiegel.
S'il devait traduire Trump en justice, la nation polarisée serait encore plus divisée et peut-être poussée au bord de la guerre civile. Aux yeux des partisans de Trump, leur idole incarne un martyr persécuté par un système corrompu. Les républicains, qui commencent tout juste à prendre prudemment leurs distances avec Trump, se rangeraient derrière lui.
Mais si Garland renonçait à une inculpation pour préserver la paix dans le pays, Trump s'en tirerait une fois de plus sans dommage. Il a déjà survécu à deux procédures de destitution au Sénat, ainsi qu'au rapport du procureur spécial Robert Mueller, «qui aurait probablement fait tomber un président en temps normal», selon le Spiegel.
Mais avec Donald Trump, rien n'est normal. Ce n'est pas la seule raison pour laquelle les obstacles à une condamnation sont élevés. L'ex-président engagerait une armée d'avocats de haut niveau qui chercheraient d'éventuelles failles dans l'acte d'accusation - celui-ci devrait donc s'avérer absolument «étanche» pour être irrévocabl.
Et même si le procès avait lieu, il suffirait d'un fan de Trump parmi les douze jurés pour le faire échouer. Selon le Spiegel, les conséquences d'un acquittement sont inimaginables: «Si même Trump, qui a si peu de talent pour la dissimulation, n'est pas puni – comment demander des comptes à l'avenir à un président plus habile à transformer les Etats-Unis en autocratie?»
A cela s'ajoute le fait qu'une inculpation et un procès de Donald Trump tiendraient en haleine la nation et le monde pendant des mois, alors qu'il y a suffisamment d'autres problèmes. Tout cela place le ministre de la Justice Merrick Garland devant un dilemme presque insoluble. La perquisition d'une maison en Floride pourrait justement ouvrir une issue possible.
Exclusive: See the Trump toilet photos that he denies ever existed https://t.co/ijMDJ1dfXa pic.twitter.com/7cuPOaJ40e
— Axios (@axios) August 8, 2022
Lors de son départ involontaire de la Maison-Blanche – on sait qu'il n'a jamais accepté sa défaite électorale – Donald Trump a «emporté» 15 caisses de matériel. Il a rendu certains documents, mais la justice a ouvert une enquête, car toute correspondance d'un président doit être archivée pour la postérité.
Trump, comme beaucoup d'autres, a interprété cette règle à sa guise. On sait qu'il a détruit des documents à plusieurs reprises. Il les aurait en partie jetés dans les toilettes, comme l'a révélé la journaliste très bien informée du New York Times Maggie Haberman. Le site Axios a publié lundi des photos de ces documents.
Ces faits sont suffisamment douteux. Si des documents classifiés devaient se trouver parmi le matériel saisi lundi, la voie pourrait être ouverte à une procédure pénale. En comparaison avec la tentative de coup d'Etat présumée du 6 janvier, il s'agirait d'une affaire secondaire - peut-être même d'une broutille.
Ce ne serait toutefois pas la première fois qu'un «grand criminel» serait amené à rendre des comptes pour un fait secondaire. Le légendaire parrain de la mafia de Chicago, Al Capone, n'a pas été mis derrière les barreaux pour la contrebande d'alcool, les jeux d'argent ou ses massacres et meurtres, mais pour fraude fiscale et blanchiment d'argent.
Même dans ce cas, une condamnation de Donald Trump pourrait s'avérer difficile. Parmi les peines possibles figure, outre la prison, l'exclusion de toute fonction au niveau fédéral. Dans ce cas, Donald Trump ne pourrait pas se représenter en 2024. Des réserves constitutionnelles s'y opposent toutefois, écrit le New York Times.
La controverse autour de la disparition des e-mails d'Hillary Clinton lorsqu'elle était secrétaire d'Etat, à laquelle Donald Trump a fait référence dans sa déclaration de lundi, sert de précédent. Ceux-ci ont joué un rôle important dans la campagne électorale de 2016. Le FBI a également enquêté sur cette affaire, mais aucune procédure n'a finalement été engagée contre Clinton.
Une inculpation de Donald Trump serait souhaitable pour de nombreuses raisons. Mais le chemin vers une condamnation est semé d'embûches, le coup pourrait se retourner contre lui. C'est l'une des raisons pour lesquelles le ministre de la Justice Merrick Garland n'a rien à envier aux autres.