C'est Ronald Reagan qui empoigne le slogan pour la première fois en 1980. Clinton l'emprunte à son tour, en 1992, pour nourrir sa candidature aux primaires démocrates.
Mais c'est Donald Trump qui grave la punchline dans les esprits du monde entier en 2015. Fidèle à son curriculum de faiseur d'argent, le taulier de Mar-a-Lago va jusqu'à revendiquer la paternité de la formule en obtenant la marque déposée en juillet de la même année.
En août 2022, pour dégoupiller son université d'été, voilà que le Parti socialiste français s'en inspire (le mot est faible) dans l'espoir de donner un grand coup de frais à son avenir. Petite provocation un peu naïve? Humour de gauche? Graphiste encore en vacances?
Si le slogan a manifestement profité aux trois présidents des Etats-Unis, pas sûr que le détournement marketing in French permette au PS de redorer son image. En proposant à ses partisans de mâcher le verbiage populiste d'un Trump aux multiples difficultés judiciaires, les ténors socialistes ont surtout fait pousser un immense malaise. Un produit dérivé qui a donc, logiquement, dérivé sur les réseaux sociaux.
A la différence des Américains précités, ce petit coup marketing ne vient pas habiller officiellement une campagne présidentielle. C'est dans le cadre de l'inoffensive et traditionnelle université d'été que le PS a jugé bon de paraphraser Donald Trump. Une course d'école durant laquelle toutes les formations politiques françaises se mettent au vert pour quelques joutes de team building.
Reste que l'opération regorge de maladresses. En voici trois.
Qui dit quoi et à qui? En marketing, identifier l'émetteur et le récepteur est indispensable à la compréhension et au succès d'une idée. En 1980, Reagan prononce ce slogan pour signifier un point de bascule et marquer une rupture franche avec la politique de son prédécesseur démocrate, Jimmy Carter. A la fin des 70's, le chômage et l'inflation s'affolent. Lorsqu'il a invité tous les citoyens à participer à «une grande croisade nationale pour rendre sa grandeur à l'Amérique», le président-acteur fomentait quelques points de suture sur une plaie économique béante.
Pour «rendre sa grandeur à l'Amérique», il faut donc réparer les dégâts provoqués par le camp adverse. Il en sera de même pour Clinton et encore davantage pour Trump, qui a longtemps utilisé cette formule pour pointer les supposés coups de canifs donnés par Barack Obama au drapeau et au quotidien des Américains.
En clair, lorsqu'une entité politique désire rendre sa grandeur à quelque chose, on sous-entend que cette même entité n'est en rien responsable de sa chute. Or, en ce qui concerne le détournement du slogan par la gauche française, le PS ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il considère, aujourd’hui, devoir coller quelques sparadraps sur sa réputation.
Au point de devoir réparer ses propres bourdes.
Oups.
Les Français et l'anglais, ça n'a jamais été une grande histoire d'amour. Sans aller jusqu'à rappeler sournoisement leurs difficultés légendaires à apprivoiser l'accent (coucou, Nelson Monfort), les électeurs francophones n'apprécient que très moyennement les idées politiques déroulées dans une langue étrangère. D'autant plus à gauche, en guerre longue contre l'impérialisme américain.
Plus simplement, le PS français s'approprie en 2022 un slogan ringard depuis trop longtemps pour être pris au sérieux. C'est moyen pour muscler un parti qui claudique.
Emprunter le langage de l'ennemi a toujours été un exercice considéré comme périlleux. Ici, même en tournant la blague du PS français dans tous les sens, le fumet populiste de Donald Trump peine à se dissiper.
La faute à cette écriture blanche sur casquette rouge qui n'évoquent, encore aujourd'hui, qu'un ancien président des Etats-Unis férocement républicain, complotiste et despotique, aux prises avec la justice et en guerre contre les médias, la science, les règles du jeu, les faits et le reste du monde.
Et c'est la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, partenaire forcé sous le blase Nupes, qui doit sourire en cachette.
Tout détournement n'est pas forcément une mauvaise idée. En 2017, Emmanuel Macron s'était également approprié le verbiage du président Trump, mais le temps d'une petite vengeance politique... plutôt bien trouvée.
Une déclaration totalement en anglais (rappelez-vous: le franglais beauf de la casquette du PS) que le président de la République a imaginé en réponse à la volonté de Trump de quitter les accords de Paris sur le climat. En le bousculant gentiment dans son propre langage, Macron a tenté de faire comprendre à l’ancien président américain qu'il était, malgré tout, un allié.
Cerise sur le gâteau, le tweet du locataire de l'Elysée est ensuite devenu le tweet français le plus partagé de l'histoire. Détrônant, au passage, celui de Cyril Hanouna dans lequel il singeait le mythique selfie d'Ellen De Generes.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) June 1, 2017
Pas simple, la communication. Surtout lorsqu'un couvre-chef n'est rien d'autre qu'un cache-misère sur des racines politiques furieusement dégarnies.
Le Parti socialiste français aurait peut-être dû s'en tenir aux classiques: stylo, pin's et gourde. Encore que la gourde... Lorsqu'on prétend avoir «soif de gauche», c'est qu'il en manque.