Cet été, la première ministre finlandaise Sanna Marin a festoyé dans une ambiance survoltée et des faisceaux violets. Une story Instagram de ce banal lâcher-prise a, depuis, fait trois fois le tour du globe. Dans l'ordre, les critiques, les cris de soutien et les interrogations politico-socio-philosophiques ont fusé. Une première ministre a-t-elle le droit de danser? N'est-ce pas là une preuve formelle de son incompétence? Etait-elle ivre? En vacances? A-t-elle sniffé de la coke? La sécurité nationale a-t-elle été compromise entre deux cosmopolitan?
Peut-on vraiment prendre des décisions importantes le jour et du plaisir la nuit?
Mardi, alors que la polémique ceinturant cette vidéo commençait tout juste à perdre de sa vigueur, rebelote. Une photo de baiser fougueux et topless entre deux femmes s'invite dans les médias finlandais. La scène s'est déroulée en juillet dans la résidence privée de la première ministre. Cette fois, les plates excuses ont devancé (de peu) les grasses critiques.
Depuis, l'opinion publique lui témoigne (ou non) de l'amour fou. Mais il convient de constater que les compétences politiques de la première ministre finlandaise sont reléguées au second plan: les grincheux se vautrent volontiers dans des saillies sexistes et les aficionados ont dansé, eux aussi, pour rappeler que tout le monde avait le droit de danser.
Pour bon nombre de médias locaux, c'est le dépistage volontaire de drogue qui a hissé le sujet au sommet de l'actualité. Il faut dire que dans le paysage politique finlandais, le niveau de tolérance de ce que l'on peut appeler «des frasques», est historiquement assez bas.
«La Finlande devrait être reconnaissante pour les scandales qu'elle a!», avait ironisé la star cathodique américaine Trevor Noah, vendredi dernier, pour dire à quel point le nord de l'Europe semblait être particulièrement «lisse et ennuyeux».
Finland scandals vs. American scandals pic.twitter.com/cwn6CVI1Ud
— The Daily Show (@TheDailyShow) August 19, 2022
Helsinki n'est donc pas Palm Beach. Sanna Marin n'a pas encore reçu le FBI, chez elle, à l'aube, pour une sombre histoire de sécurité nucléaire mondiale. Rappelons qu'en 2021, la première ministre avait scandalisé par-delà les fjords avec les petits-déjeuners de ses enfants supposément «financés par l’argent public». Un «aamiaisgate» vu comme «une tempête dans un verre d’eau vue de l’étranger», comme disait Le monde, mais qui avait fortement chahuté la campagne des élections municipales.
Or, le véritable point commun entre les deux affaires qui éblouissent Sanna Marin depuis une semaine s'est un peu planqué sous le radar, dès les premiers bruissements de la polémique:
Pour quelle(s) raison(s) ces deux moments, qui ne regardent personne, ont-ils pu se frayer un chemin aussi fluide jusqu'à tout le monde? Car, dans les deux cas, ce ne sont pas des instants volés à la vigilance de la première ministre. Dans les deux cas, Sanna Marin savait que des téléphones capturaient des moments de joie. Dans les deux cas, ce sont des proches de l'élue qui avaient la phalange sur le déclencheur. Et, enfin, dans les deux cas, ces mêmes «personnes de confiance» ont décidé de les rendre public. «J'avais suffisamment confiance en mes amis. Je ne pensais pas que ces fichiers allaient être publiés. Mais mes amis resteront malgré tout mes amis», avait déclaré Sanna Marin, devant les micros du monde il y a quelques jours.
Excès de confiance ou de naïveté? Stratégie de communication volontaire? Tout ce que l'on sait, c'est qu'on ne sait pas grand-chose. Si ce n'est que Sanna Marin fait désormais crépiter nos flux d'actualité à une cadence effrénée et qu'elle a juré, en conférence de presse mardi, que la diffusion de ces fichiers n'a jamais été le fruit «d'une campagne marketing délibérée». En rappelant d'ailleurs une nouvelle fois qu'elle pensait «sincèrement» se lâcher dans un espace «suffisamment sûr» pour ne pas avoir à craindre de fâcheuses fuites.
D'autant que Sanna Marin est dans l’œil du cyclone depuis le début de l'agression russe en Ukraine. Saluée à l'époque pour sa gestion de la pandémie, elle a fait une entrée fracassante sur la table géopolitique mondiale en s'opposant fermement au «voisin» Vladimir Poutine et en gérant d'une main de fer la candidature de son pays à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan).
Depuis son ascension au sommet du gouvernement finlandais, le 10 décembre 2019, la politicienne a plus d'une fois martelé sa volonté de bousculer le paysage politique nordique. De prouver qu'un élu est un citoyen comme un autre. De jongler avec la transparence, la franchise, la provoc' et le dynamisme de son époque. «Je pense qu'elle s'est fait avoir sur son propre terrain: les réseaux sociaux. Un outil qui l'a aidée à façonner son succès et sa crédibilité, mais qui s'est, cette fois du moins, retourné contre elle», analyse Alexandre Eyries.
Reste que le SDP, parti démocrate dont Sanna Marn est présidente, est une formation politique qui draine encore aujourd'hui des partisans autrement moins jeunes et décomplexés. Et, dans ses rangs, les gros titres qui brossent la vie nocturne de la cheffe du gouvernement, depuis son élection, commencent à agacer.
«Il y a de bonnes raisons de s'inquiéter des priorités de notre cheffe. Il est extrêmement important de parler également à nos anciens partisans. La Finlande est encore un pays relativement conservateur, surtout en dehors de sa capitale», confessait un démocrate finlandais influent dans le journal Helsingin sanomat.
Ces prochaines semaines, la question sera peut-être moins de savoir si «la première ministre la plus cool du monde» a le droit de danser (elle l'a), mais sur quel pied elle le fera. Pour continuer à fédérer politiquement la nouvelle génération de Finlandais, mais surtout en évitant de froisser définitivement les électeurs plus prudes de son parti. (Encore nombreux.)
Les élections parlementaires finlandaises se dérouleront en avril 2023.