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Ukraine: Poutine ne sait plus quoi faire du gaz russe

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Gros coup de bluff: Poutine ne sait plus quoi faire de son gaz

Alors que l'Europe économise le gaz, la Russie le brûle à perte. Il n'est pas si facile de trouver de nouveaux partenaires commerciaux...
25.08.2022, 18:31
Nele Behrens / t-online
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Les flammes s'élèvent très haut à la frontière russe. Si l'on regarde vers l'est depuis la vile finlandaise de Virolahti, on peut les voir à l'œil nu. La raison de l'incendie? Un surplus de gaz naturel. Alors que l'Europe, et notamment l'Allemagne, craint de plus en plus une pénurie de gaz, plusieurs indices laissent penser que la Russie ne sait plus que faire de sa précieuse matière première.

FILE -- A Russian construction worker speaks on a mobile phone in Portovaya Bay some 170 kms (106 miles) north-west from St. Petersburg, Russia, Friday, April 9, 2010 during a ceremony marking the sta ...
Un ouvrier russe en 2010 lors d'une cérémonie de lancement d'un pipeline près de Saint-Pétersbourg.keystone

«L'automne dernier déjà, des rapports indiquaient que les réservoirs de la Russie étaient presque pleins», explique Malte Küper, expert en énergie à l'Institut de l'économie allemande (IW) à Cologne. «Les réservoirs de gaz de la Russie sont certes énormes, mais ils arrivent à leurs limites avec les quantités qui ne s’écoulent plus vers l'Europe.»

La Russie ne peut pas réduire si facilement l’extraction de gaz naturel. Sous l'effet de la pression, la matière première s'écoule d'elle-même à la surface via le tuyau introduit dans le sol. La Russie doit alors brûler le gaz qu'elle ne veut pas vendre à l'Occident et qu'elle ne peut pas stocker.

Les volumes de production peuvent difficilement être réduits

«Si les Russes extraient du pétrole et du gaz, ils ne peuvent pas simplement arrêter les forages. Les flux ne peuvent pas être réduits de manière significative», expliquait par exemple Yuriy Vitrenko, responsable du groupe énergétique ukrainien Naftogaz, au début de la guerre dans une interview avec le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

La Russie produit donc un volume similaire à celui d’avant mais les acheteurs font désormais défaut. Certes, le groupe public Gazprom raconte autre chose et fait état de livraisons accrues vers l'Asie, mais l'expert en énergie Malte Küper reste sceptique:

«La Russie veut donner l'impression qu'elle peut compenser le manque de livraisons vers l'Europe par des livraisons vers la Chine. Mais les chiffres contredisent ses propos.»
Malte Küper, expert en énergie

Il y a deux ans, la Russie exportait encore près de 80% de son gaz vers l'Europe et la Turquie. Seuls 10% étaient destinés aux pays asiatiques. Bien que Moscou présente désormais la Chine et l'Inde comme les grands acheteurs alternatifs, comme des «amis de la Russie», la vérité est probablement différente. Ces deux pays sont loin de pouvoir combler le vide laissé par l'Europe en tant que partenaire commercial de Gazprom.

La Russie ne souhaite toutefois pas révéler cette faiblesse. Gazprom souligne plutôt que l'entreprise a pu augmenter ses exportations vers la Chine d'environ 60% – ce qui reste une faible quantité.

La Chine pèse peu face à l'Europe

L'année dernière, l'Allemagne, à elle seule, a importé plus de quatre fois plus de gaz de Russie que la Chine. En quantité, cela représente près de 46 milliards de mètres cubes, selon les données de l'IW, contre 10,6 milliards de mètres cubes importés par la Chine.

Malte Küper: Der Energieexperte des Instituts der Deutschen Wirtschaft in Köln zeigt auf, wie sehr Russlands Infrastruktur beim Erdgashandel auf Europa ausgelegt ist – und nicht auf China.
Malte Küper, expert en énergie de l'Institut de l'économie allemande à Cologne.zvg/IW Köln

La Russie devrait donc avoir envoyé près de 8,5 milliards de mètres cubes de gaz naturel en Chine au premier semestre 2022, si le pays voisin a augmenté ses importations de 60% par rapport à l'année dernière. Cela est loin d'absorber les pertes que la Russie doit supporter en raison de l'effondrement de son commerce avec l'Europe.

Mais la Russie ne cesse de se placer en position de force. Lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg en juin dernier, le patron de Gazprom, Alexeï Miller, a clamé haut et fort que la Russie allait dominer l'économie mondiale à l'avenir:

«Le contour de la nouvelle structure économique sera déterminé par la Fédération de Russie»
Alexeï Miller, patron de Gazprom

La Russie est aussi dépendante

Le directeur de Gazprom a justifié sa thèse par le fait que «le centre de gravité dans les relations marchandises-argent s'est déplacé du côté des marchandises». Il a fait référence aux taux d'inflation élevés en Europe, que la Russie alimente en réduisant ses livraisons de gaz.

Mais ce n'est pas si simple: l'Europe n'est pas la seule à ne pas avoir réussi à réduire sa dépendance vis-à-vis d'un partenaire commercial au cours des dernières années. La Russie aussi s'est privée de marge de manœuvre en raison d'un manque d'investissements.

«Comme la Russie n'a misé que timidement sur le gaz naturel liquéfié (GNL) ces dernières années, contrairement à la tendance mondiale, elle reste fortement dépendante de l'infrastructure de gazoducs existante. Et celle-ci est clairement orientée vers l'Europe», explique Malte Küper, expert de l'IW.

Un seul pipeline relie la Russie à la Chine

La Russie n'a pas la possibilité, d’un point de vue logistique, d'approvisionner la Chine en gaz naturel en quantité suffisante pour compenser les pertes liées au commerce avec l'Europe. Et ce, même si la demande de la Chine était présente.

Actuellement, un seul pipeline relie la Chine à la Russie. La «force de la Sibérie 1» peut transporter jusqu'à 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Toutefois, selon les données de l'IW, il était récemment utilisé à moins de 50% de sa capacité.

De plus, même si le gazoduc était entièrement utilisé, il ne remplacerait pas le volume du «Nord Stream 1». L'important gazoduc de la mer Baltique entre la Russie et l'Allemagne a un volume pouvant atteindre 55 milliards de mètres cubes par an.

Les champs de gaz ne sont reliés qu'à l'Europe

Le point le plus sensible est la situation géographique des gazoducs. L'Europe s'approvisionne en gaz naturel principalement à partir de champs de gaz situés en Sibérie. Depuis ces gisements, les gazoducs ne vont qu'en Europe. La Russie n'a donc pas la possibilité de simplement détourner le gaz destiné au marché européen vers la Chine ou l'Inde.

Certes, la Russie planifie depuis des années un nouveau tube de gaz. La «force de la Sibérie 2» doit relier directement les champs de Sibérie à la Chine, mais les obstacles sont nombreux. Depuis 2006, la Russie est déjà en pourparlers avec la Chine, sans résultat jusqu'à présent.

FILE - Chinese President Xi Jinping, right, and Russian President Vladimir Putin talk to each other during their meeting in Beijing, China, on Feb. 4, 2022. By ending 77 years of almost uninterrupted  ...
Partenaires? La Chine profite de la crise pour importer davantage de gaz naturel russe à des conditions avantageuses mais s'oppose à la construction d'un nouveau pipeline.keystone

Et cela ne devrait guère changer à l'avenir. «Ce n'est pas seulement la distance de près de 3 000 km qui complique la construction, mais aussi le terrain exigeant et le manque d'accès à la technique et au savoir-faire des entreprises occidentales en raison des sanctions», explique Malte Küper.

La Russie va-t-elle encore réduire ses livraisons de gaz?

Il ne reste donc à Gazprom qu'à brûler le gaz, comme les Finlandais peuvent l'observer à la frontière avec la Russie. Des photos aériennes de la Nasa démontrent que la Russie brûle du gaz depuis juin déjà.

Il n'est donc pas certain que la Russie réduise encore ses livraisons vers l'Europe. Si une quantité encore plus faible de gaz naturel était acheminée vers l'Europe via le «Nord Stream 1», la Russie s'exposerait non seulement au risque de lourdes pénalités contractuelles, mais elle n'aurait tout simplement pas les capacités de stocker davantage de gaz naturel.

Brûler du gaz accélère le changement climatique

Pour l'Occident, ce n'est toutefois qu'une raison limitée de se réjouir. En effet, la combustion de gaz entraîne l'émission de grandes quantités de carbone noir dans l'air, qui accélère la fonte de la neige et de la glace lorsqu'il se dépose sur celles-ci. De nombreux Finlandais vivant dans la région frontalière ont déjà raconté aux médias comment la poussière noire s'accumule sur leurs terres.

La combustion du gaz continue ainsi d'alimenter le changement climatique. Et tant que les relations commerciales entre la Russie et l'Europe ne se normalisent pas, Gazprom devrait continuer à brûler le gaz naturel excédentaire.

Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz.

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