D'un coût estimé à 400 millions de francs, le projet d'aménagement d'un site de stockage de gaz naturel dans le Haut-Valais, une première en Suisse, est piloté par la société romande Gaznat et suivi avec grande attention par la Confédération. Le directeur général de Gaznat, René Bautz, a répondu aux questions de watson.
Où en sont vos travaux à Oberwald, en Haut-Valais?
René Bautz: Ce que nous avons fait pour l’instant à Oberwald, ce sont les forages de reconnaissance, dans une roche dure, de bonne qualité, capable de résister à la pression du gaz. A la suite de cela, nous avons rédigé les rapports géologiques correspondant au massif rocheux. Actuellement, nous sommes en train d’élaborer l’étude technico-commerciale relative au dimensionnement du futur stockage et à l’apport de ce dernier aux besoins en gaz en Suisse.
Quel volume de gaz envisagez-vous de stocker à cet endroit?
Cela dépendra du projet en lui-même. L’idée est de construire, si cela est possible, jusqu’à quatre cavités. Soit environ 1,5 TWh (1,5 milliard de kilowattheures). Autrement dit: plus d’un quarantième de la consommation totale annuelle de gaz en Suisse, qui est de 40 TWh.
A quelle pression sera stocké le gaz à Oberwald?
Ce sera un stockage sous haute pression, de l’ordre de 250 à 300 bars. Ce qui a son importance lorsque la demande est forte en hiver. Le matin, par exemple, quand tous les radiateurs s’enclenchent. Cela veut dire qu’à ce moment bien précis, la demande des ménages étant forte, ce gaz sous haute pression arrivera très vite à destination via le réseau ordinaire, qui, lui, est à environ 50 bars de pression. C’est pourquoi il ne faut pas seulement raisonner en termes de volume, mais aussi de puissance.
Pouvez-vous chiffrer cette puissance?
En hiver, il arrive qu’il y ait des pointes de puissance de 12 000 mégawatts dans le réseau de gaz suisse. Avec notre stockage, selon le dimensionnement qu’on lui donnera, on pourrait atteindre entre 2000 ou 4000 mégawatts. Ce n’est donc pas négligeable.
D’où l’intérêt d’un stockage en cavité rocheuse, c’est bien ça?
Quelle est la fonction de cette future réserve de gaz, si le projet va à son terme?
C’est une fonction de soupape de sécurité. De manière à fournir l’appoint en cas de besoin. Il s’agit de pouvoir faire face à des vagues de froid qui peuvent durer jusqu’à trois semaines d’affilé. On dimensionne les stockages pour garantir l’approvisionnement en gaz durant ces vagues de froid, sachant qu’en Suisse le gaz sert avant tout à se chauffer.
En quoi un stockage en Suisse est intéressant dans la conjoncture actuelle de la guerre en Ukraine?
Le problème, c’est que nous n’avons pas de stockage saisonnier en Suisse, apte à fournir du gaz dans les situations d’urgence. Nous dépendons actuellement du stockage saisonnier de pays limitrophes. Nous, à Gaznat, nous sommes reliés à des stockages français.
Quelle est la dépendance de la Suisse au gaz russe?
En Suisse, nous n’avons pas de contrat direct avec les Russes sur le plan du gaz naturel. Cela dit, nous travaillons avec des intermédiaires européens, lesquels se fournissent en gaz russe entrant dans la fabrication de biens transformés que nous importons.
Quand l’installation de stockage à Oberwald sera-t-elle opérationnelle?
Il y a toujours deux aspects à prendre en compte dans la réalisation d’ouvrages énergétiques. D’abord, les délais administratifs. Cela peut prendre du temps, en cas d’oppositions, par exemple. Ensuite, la durée de construction. Pour un tel ouvrage, il faudrait compter entre quatre et cinq ans.
En 2030, y aura-t-il encore du gaz à acheter sur les marchés?
Oui, bien sûr. Il y aura même d’ici là une augmentation de la production et de la consommation de gaz naturel au niveau mondial, selon les projections.
Si les choses devaient ne pas s’arranger avec la Russie, qui seraient les fournisseurs de la Suisse?
Hors Russie, il y a les fournisseurs actuels, ceux auxquels l’Europe est reliée par gazoduc, la Norvège en mer du Nord, l’Algérie, l’Azerbaïdjan. Mais, dépendance au gaz russe oblige, l’Europe entreprend à présent de diversifier ses approvisionnements en gaz, par méthaniers, en provenance du Qatar, des Etats-Unis ou d’autres régions du monde.
Les cavités d’Oberwald ne contiendraient-elles que du gaz naturel?
Non, il s’agit, là aussi, de diversifier l’origine du gaz utilisé pour nous chauffer, afin de limiter notre dépendance de l’étranger et afin de limiter l’empreinte carbone contribuant au réchauffement climatique. Il faut, d’une part, miser sur le gaz renouvelable, soit le biogaz résultant de la fermentation de déchets ou directement produit à partir du lisier des animaux. D’autre part, il faut développer les gaz de synthèse, via la technique du «power-to-gas», qui permet, par électrolyse, de transformer en gaz de l’énergie excédentaire, pensons au solaire produit l’été dans des quantités qui dépassent nos besoins en consommation à ce moment-là.
Avez-vous des vues sur des sites de stockage autres que celui d’Oberwald?
Nous avons jusqu’ici exploré trois sites. Deux répondaient à nos attentes, celui d’Oberwald et un deuxième situé au nord du massif du Grimsel, dans la région d’Innertkirchen. Nous avons retenu pour l’instant le site d’Oberwald. C’est là que nous allons tester notre technologie et voir si on peut l’appliquer ailleurs ensuite.