Joe Biden, président de TikTok. Absurde? Oui et pour plusieurs raisons. La plus gratuite serait de rappeler bêtement que Biden est le plus vieux président en exercice de toute l'histoire des Etats-Unis (80 printemps). Ce qui reviendrait aussi à se prendre les pieds dans ce cliché qui voudrait que les réseaux sociaux (et la technologie) ne soient pas un hobby pour grand daddy.
La deuxième nous fait rembobiner en 2020, lorsque Joe Biden et Donald Trump snobaient volontairement le réseau social préféré des kids, privilégiant notamment Instagram, moins niche, beaucoup moins politique et... moins sincère. Sur TikTok, au début, l'authenticité et le DIY à la fraîche étaient de mises. Ce que les politiciens en campagne ont (souvent) en sainte horreur.
Pourtant, sans même y posséder de compte officiel, les deux adversaires avaient engrangé indirectement un nombre vertigineux de publications. Le hashtag #Trump2020🇺🇲 en tête, avec plus de onze milliards de vues, alors que #Biden2020 avait dû se contenter de 2,4 milliards d'occurrences. Ce qui n’a pas empêché le démocrate de poser ses bibelots dans le Bureau ovale.
Concernant Trump, le bruyant boycott paraissait aller de soi. On a un peu tendance à l'oublier, mais, trois ans avant l'actuelle déclaration de guerre du gouvernement Biden contre la maison mère Bytedance, le 45e président des Etats-Unis en avait déjà fait l'ennemi à abattre. Sans grand succès. Pour Joe, soyons réglo, TikTok représentait déjà à l'époque un «véritable sujet de préoccupation». En juillet 2020, l'actuel patron du monde avait interdit l'application à toute son équipe de campagne.
Aujourd'hui, si le compte de campagne de Trump pour 2024 fait chauffer les algorithmes sur le réseau ultra-controversé, Biden demeure introuvable... ou presque. Pas de compte officiel à l'horizon, mais une stratégie de communication toute fraîche, qui surprend (au mieux) et fait se serrer les gorges les plus conservatrices.
Selon Axios, notre homme s'est adjoint le soutien d'une armée d'influenceurs, avec la ferme intention de leur offrir une salle de conférence à la Maison-Blanche. Au passage, une petite provocation pour les journalistes politiques basés à Washington, puisque Biden n'a plus donné aucune conférence de presse depuis plus de 150 jours, nous rappelle The Hill.
Le dilemme est de taille: TikTok, danger chinois pour la sécurité nationale ou fontaine de jouvence pour un papy président en quête d'un nouveau souffle politique? Pour l'heure, le cœur de Joe Biden refuse de faire un choix, même s'il ne s'est jamais laissé aller à menacer personnellement Bytedance. Son administration, soutenue par une bonne partie des républicains, fait des heures sup' pour dénicher la faille légale pour pousser la maison mère à la vente ou jeter TikTok à la poubelle. Et puis, dans une autre pièce, l'équipe de campagne du «pas encore tout à fait» candidat met les bouchées doubles pour le faire briller sur des vidéos rigolotes.
Soyons précis: quatre employés de la Maison-Blanche sont aujourd'hui chargés de draguer, recruter et briefer des influenceurs locaux et nationaux. De la petite starlette aux boss de TikTok. Objectif, prendre du poids médiatique en vue de 2024, mais aussi donner de l'écho à ses déplacements, comme lors de la dernière foire à la bagnole de Detroit, en septembre dernier. Résultat, un papy Biden au volant d'une voiture électrique, filmé par Daniel Mac, quatorze millions de followers, qui fait un carton sur le réseau social chinois avec ses «What do you do for a living?».
@itsdanielmac What Joe Biden Does For A Living 🇺🇸#joebiden #president #cadillac #cars ♬ original sound - DANIEL MAC
Dans cette aventure présidentielle numérique, on trouve par exemple, Harry Sisson, étudiant new-yorkais de 20 ans, qui analyse l'actualité sur TikTok. (Sans poser de questions gênantes, comme les journalistes traditionnels.) Ou encore Vivian Tu, un ancien trader qui cartonne avec ses sujets financiers vulgarisés, toujours sur TikTok. Pour toucher les jeunes? Pas seulement.
En jouant sur les deux tableaux, en profitant de l'application tout en jetant son propriétaire chinois dans les cordes, le président ne prend pas seulement le risque de se montrer méchamment opportuniste aux yeux du monde. Il se frotte également à une dure réalité politique. Si, dans un avenir proche, l'administration Biden trouvait le moyen de bâillonner TikTok sur son territoire, ce sont plus de 100 millions d'utilisateurs américains, et donc d'électeurs potentiels, qui risquent de tirer la tronche quand il faudra glisser un bulletin dans l'urne. Sans surprise, un sondage récent montre que plus de 40% des personnes âgées de 18 à 34 ans s'opposent à une interdiction de l'application.
La secrétaire au Commerce, Gina Raimondo, qui déteste férocement TikTok, a pourtant toujours considéré qu'adopter «une loi pour interdire une seule entreprise n'est pas la meilleure façon de traiter ce problème». Sans pour autant nommer Joe Biden, la démocrate mettait en garde, en mars dernier, contre une stratégie politique plutôt délicate. Surtout pour la gauche, qui a les deux pieds dans un Bureau ovale qu’elle ne voudrait quitter pour rien au monde.
Forcément, les adversaires du 46e président des Etats-Unis ne se sont pas fait prier pour empoigner son drôle de double jeu. Jeudi, les républicains du Congrès ont torché une lettre au conseiller juridique de la Maison-Blanche pour empêcher Biden d'inviter des influenceurs à Washington.
En vrac, et selon le député Stuart Delery, «cela constitue une grave menace pour la sécurité nationale à un moment de plus en plus dangereux alors que la Chine poursuit son agression militaire contre Taïwan et sa coercition économique à travers le monde».
Avec ou sans influenceurs à sa botte, Joe Biden a du pain sur la planche, s'il veut un jour rivaliser avec le trumpisme en ligne. Pour l'heure, le président brouille les pistes et dévoile une stratégie numérique qui semble un peu folle et même plutôt fourbe. Alors que sa fermeté affichée envers la Chine et ses menaces sont l'un de ses meilleurs atouts, cette nouvelle armée de stars des réseaux sociaux complique encore un peu plus son agenda, s'il veut un jour officialiser, dans le calme, sa candidature pour 2024.