Comment mettre fin à la guerre en Ukraine? Sous-entendu, le plus tôt possible. Poser cette question, alors que les Russes progressent à l’est du pays, menaçant de transformer Severodonetsk en une autre Marioupol, pilonnant à nouveau Kharkiv, apparaîtra à beaucoup d'Ukrainiens comme une insupportable manifestation de défaitisme. Arrêter la guerre, oui, diront-ils, mais pas au moment où les Russes donnent l’impression d’avoir l’avantage. Ce serait leur reconnaître la victoire et entériner leurs conquêtes.
Ce que le géopolitologue français Bertrand Badie traduit d'une phrase:
De fait, la position ukrainienne n’a pas varié à ce sujet depuis le début du conflit. Le président Volodymyr Zelensky l’a réaffirmée mercredi dernier lors du Forum de Davos (WEF), où il intervenait par liaison vidéo:
Et le chef de guerre ukrainien de réclamer plus d’armes lourdes à l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) pour combattre l’envahisseur russe.
Bertrand Badie rappelle une évidence qui a son importance: «On n’est pas dans la tête de Poutine». Que veut-il vraiment? Jusqu’où ira-t-il? «Ce qu’on peut dire, c’est que ses intentions ne sont probablement plus aujourd’hui ce qu’elles étaient au départ, lorsqu’il pensait s’emparer de Kiev, la capitale», observe le géopolitologue.
Deux «visions éthiques» se contredisent, juge Bertrand Badie. L’une plaide pour la fin des combats, l’autre, en faveur de leur poursuite. «S’entêter à la guerre, côté ukrainien, c’est exposer toute une population à des souffrances de plus en plus grandes», pose le spécialiste des relations internationales. «Mais laisser Poutine se calmer avec des concessions territoriales, cela risque de susciter des appétits de conquête chez d’autres dirigeants et chez Poutine lui-même, qui pourrait décider, en 2026, 2027 ou 2028, de s’en prendre à la Moldavie, par exemple.»
Bertrand Badie ne croit pas à une résolution du conflit qui passerait par une cession réciproque de territoires, comme cela se pratiquait au 18e siècle entre puissances. Il cite le Traité d’Aix-La-Chapelle ou le Traité de Paris qui mirent fin, respectivement, à la guerre de Succession d’Autriche et à la guerre de Sept Ans.
Le géopolitologue français pense cette époque révolue. Il se rapporte aux deux guerres mondiales du 20e siècle: «Aucune d'elles n'a débouché sur une négociation finale entre les belligérants, à chaque fois le vainqueur a imposé ses conditions au vaincu», fait-il remarquer.
La présente guerre en Ukraine ne pourrait-elle pas inaugurer un nouveau mode de résolution des conflits? Là encore, Bertrand Badie renvoie au 20e siècle: «Après 1945, tous les grands conflits marqués d’une invasion se sont achevés par le retrait unilatéral d’un des belligérants de la bataille, les Etats-Unis du Vietnam, les Soviétiques d’Afghanistan».
Il faut par ailleurs compter sur ces «monnaies d’échange» que sont les prisonniers de guerre détenus de part et d’autre. La Russie aurait pour l’heure l’ascendant sur plusieurs plans: elle semble ainsi en mesure de bloquer les exportations ukrainiennes de céréales. Et si pour l’heure Odessa, la grande ville portuaire ukrainienne située à l’ouest de la mer Noire, est libre, un jour Moscou pourrait l'envahir.