Avant, à l’approche de la date commémorant la rafle du Vél’ d’Hiv, le 16 juillet 1942, lors de laquelle 13 000 juifs, dont plus de 4000 enfants, furent arrêtés par la police française en vue de leur déportation par l’armée allemande, on s’attendait à quelque saillie de Jean-Marie Le Pen, le chef du parti d’extrême droite Front national (FN).
Aujourd’hui et depuis que le Rassemblement national (RN), successeur du FN, ne verse plus dans la provocation antisémite, la vigilance contre l’antisémitisme politique vaut pour la gauche radicale et Jean-Luc Mélenchon en particulier, le fondateur de La France insoumise (LFI), familier de propos pour le moins ambigus.
Cette fois-ci, ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui a attaqué le premier, mais le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Le 16 juillet, dans un tweet, Yonathan Arfi affirme que:
Peu après, le chef historique des Insoumis, tombant dans ce qui ressemble à un piège ou cherchant à jouer au plus fin, répond: «Le président du #CRIF utilise la cérémonie à la mémoire des victimes de la rafle des juifs par la police française pour me prendre à partie. Abject. L'extrême droite n'a plus de limite.»
On a bien lu: Jean-Luc Mélenchon assimile le CRIF, la principale association juive de France, à l’extrême droite, autrement dit et par extension, à l’idéologie qui, sous le régime de Vichy, a collaboré à la déportation des juifs. A la suite de quoi, Yonathan Arfi renouvelle son tweet initial, ajoutant un «Je persiste»:
Je persiste : dans le combat contre l'extrême-droite, les outrances de @JLMelenchon font partie du problème, pas de la solution.
— Yonathan Arfi (@Yonathan_Arfi) July 16, 2023
En sortant du cadre républicain, qu'il le veuille ou non, il est l'allié objectif du RN. https://t.co/sObgFCZVTV
Entre-temps, une pluie de critiques s’est abattue sur Jean-Luc Mélenchon – qui aura rectifié son tweet, ôtant la mention «extrême droite». Seule une poignée d’élus LFI prend sa défense.
Comme on nage dans les sous-entendus, revenons brièvement à ce moment où un électorat juif populaire qui votait traditionnellement à gauche en France a basculé progressivement vers la droite. Cela remonte à la seconde Intifada palestinienne, au début des années 2000. Des Français de confession juive se font alors agresser dans la rue.
Le phénomène de bascule s’accentue lorsque la gauche française identifie dans l’électorat des banlieues, majoritairement d’origine maghrébine et subsaharienne, par ailleurs acquis à la cause palestinienne, un réservoir de voix susceptible de compenser ses pertes dans l'électorat ouvrier gagné par l'abstention ou migrant chez les Le Pen. Les attentats islamistes, pour certains antisémites, achèvent la mue.
Jean-Luc Mélenchon n’a pas fait grand-chose pour éviter cette mutation. Au contraire. En 2021, à un an de l’élection présidentielle, il insinue que les assassinats perpétrés par Mohamed Merah en mars 2012 à Toulouse contre des juifs sont, comme d’autres faits graves, une machination visant à «montrer du doigt les musulmans». 👇
De toutes les ignominies de Mélenchon, celle-là est probablement la plus dégueulasse.pic.twitter.com/17fNWtnwQz
— LePetitCaporal (@_LePetitCaporal) July 18, 2023
Ce faisant, Jean-Luc Mélenchon aura contribué à pousser les juifs de France dans les bras de la droite et de l’extrême droite. S’appuyant sur un nombre de musulmans en France largement supérieur à celui des juifs, jouant dangereusement du conflit israélo-palestinien, il a, comme d'autres, alimenté les ressentiments.
Non seulement Marine Le Pen, mais plus radical qu’elle encore, Eric Zemmour, juif lui-même et reprenant à son compte la théorie du grand remplacement, ont bénéficié de «voix juives» à la dernière présidentielle.
Sauf que le CRIF avait alors appelé les juifs de France à ne pas donner une seule voix à Le Pen ou à Zemmour. Et ces derniers jours, son président réitère son refus de voir le RN accéder au pouvoir, accusant LFI et son chef Mélenchon de lui servir de marchepied. 👇
🛑 Excellente interwiew de @Yonathan_Arfi dans @Le_Figaro :
— 2eme DB73 (@FabriceDAndrea) July 17, 2023
🗣 « #LFI prétend être l’avant-garde du combat contre le #RN : c’est précisément le contraire. La radicalité de LFI en fait l’idiot utile de l’extrême droite. »https://t.co/qSApwGzLYh
Mais, pour se débarrasser de Mélenchon, il faudra plus que les accusations du CRIF, jugées orientées, intéressées. Il faudra que l’estocade vienne des rangs de la gauche. Plus précisément, de médias identifiés comme étant de ce bord politique, avec toutes les nuances requises. Il semble bien que l’opération «il faut éliminer le leader Mélenchon du paysage progressiste» ait commencé, avec les mêmes arguments que ceux employés ces jours-ci par le président du CRIF: Mélenchon fait monter Marine Le Pen.
Début mai, au sortir de la crise des retraites, Le Monde écrivait, dans un éditorial usant d’un conditionnel de pure forme:
Affectant des positionnements de gauche radicale, Libération donne parfois l’impression de flirter avec la ligne LFI. Parfois, pas tout le temps. En décembre 2022, le quotidien progressiste astiquait le lider maximo Insoumis:
Suite à son tweet où il compare le CRIF à l’extrême droite, Libération s'est contenté de recenser les réactions à gauche dénonçant le procédé oratoire de Mélenchon. Cela dit, l’article est surmonté d’une «manchette» qui vaut jugement moral:
Pourquoi est-il si important que les grands médias de gauche que sont Le Monde et Libération rompent explicitement avec Mélenchon? Parce qu’ils sont des vecteurs de légitimité. S’ils l’«enterrent», ce n’est pas ce qu’il reste de presse de gauche qui parviendra à lui donner une stature d’homme qui compte.
L'enjeu majeur, c'est le second tour de la prochaine présidentielle. Il n'est plus du tout certain, du moins aujourd'hui, qu'une force de gauche emmenée par un Mélenchon populiste, arrivée troisième au premier tour, puisse empêcher, ou même le vouloir, l'élection de la candidate RN face à un candidat de droite ou de centre droit dans la lignée d'un Macron.
Et il est à peu près certain qu'un second tour Le Pen-Mélenchon profiterait à la première. D'où l'urgence, dans les rangs de la gauche dite républicaine, de faire émerger une personnalité dont on pourra s'assurer de la bonne conduite dans l'entre-deux-tours. Pour éviter la catastrophe jusqu'ici évitée: la victoire de Marine Le Pen.