Les «quartiers», les «Arabes», les «musulmans». Si j’étais des quartiers, si j’étais arabe, si j’étais musulman, et français, je crois que je n’en pourrais plus d’entendre en permanence prononcer ces mots dans le discours politique. Je saurais à quoi m’en tenir avec l’extrême droite, ces mots ne sont pas sympathiques dans sa bouche, mais je prierais la gauche, en ce moment la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon, qui les emploie elle aussi sans arrêt avec de bonnes intentions, dit-elle, de cesser de le faire.
La gauche française se passionne pour la figure de l’Arabe. Elle l’idéalise et le plaint tout à la fois. Sur lui, son origine, sa religion supposée, elle mise une partie de son capital politique. Elle l’enveloppe de toute sa prévenance. Elle veut l’émanciper selon un modèle rodé, celui qui consiste à l’arracher aux griffes d’un hyper-déterminisme historique et social.
Avec l'«Arabe», elle en est comme restée au personnage de Momo, fils de prostituée et ange gardien de Madame Rosa, une vieille juive revenue de la déportation, elle-même ancienne prostituée, dans La vie devant soi, le merveilleux roman de Romain Gary. Au fil du temps, la gauche française, celle incarnée aujourd'hui par Jean-Luc Mélenchon, a oublié Madame Rosa, qui n’est plus vraiment son électorat. Mais est-elle sûre que Momo compte à ce point sur son aide?
S’il est une vérité, c’est que l’«Arabe en France», comme tout individu, s’émancipe d’abord de sa famille. En l’occurrence de son propre milieu culturel, et non pas du «carcan colonial français», l'arme de séduction massive des indigénistes et des islamistes. L'émancipation des individus de leurs attaches familiales (ce qui se passe dans la réalité) ne fait pas les affaires de la gauche, qui entretient l’idée selon laquelle les «Arabes», et depuis quelques années les «musulmans», feraient face à un mur néocolonial quasi infranchissable, légitimant ainsi les «luttes collectives».
Ce récit n’est pas sans fondement: il y a bel et bien un refus, chez certains, en France, au Rassemblement national comme dans le parti Reconquête d'Eric Zemmour, ailleurs aussi, de la figure de l’Arabe et du musulman, perçue tour à tour comme dangereuse, ingérable, inassimilable. Ce n’est pas une raison pour faire croire, à gauche, en l’existence d’une condition intrinsèque du musulman et encore moins de l'Arabe qui serait semblable à celle de l’indigène ou de l’esclave.
Ces mots puisés dans la mythologie des luttes collectives font des descendants de l'immigration afro-maghrébine des sortes de demi-dieux mangas (le profile picture en vogue sur les réseaux sociaux), investis d’une mission libératrice. La gauche façonne des personnages qui pour beaucoup ne réussiront qu’à nourrir des illusions et qui n’ont au fond d’eux-mêmes qu’un souhait: être assez forts un jour pour ne plus être redevables à leur génitrice. Cette gauche à qui ils en font voir alors de toutes les couleurs, appuyant à fond sur le champignon du chantage au racisme.
Ainsi de Taha Bouhafs. Né en Algérie, ce jeune homme de 25 ans a grandi dans une localité de la banlieue grenobloise, à Echirolles, où son père est adjoint au maire. La France insoumise (FI), le parti de Jean-Luc Mélenchon, lui a retiré mercredi son investiture pour les élections législatives des 12 et 19 juin prochains, après des accusations de violences sexuelles portées contre lui et dont il se défend. Il devait se présenter à Vénissieux, en banlieue lyonnaise.
Taha Bouhafs s’est fait connaître, ces dernières années, pour des propos et actions polémiques, notamment dans le giron de l'islamisme, jouant sur Twitter avec les limites de l’acceptable, s’y montrant cassant, vindicatif, sexiste, lui-même essuyant des injures et subissant des menaces, se voyant condamné en première instance pour un «arabe de service» décoché contre une syndicaliste policière d’origine maghrébine, ayant le tort selon lui de faire le jeu des «racistes» en niant les périls qui pèsent sur sa prétendue condition d’Arabe en France. Mais cela, la France insoumise n'en a manifestement jamais eu cure. Aujourd'hui, les faits présumés de violences sexuelles étant connus, elle efface d'anciens tweets, pour partie très récents, qui portaient aux nues le tout jeune candidat, l'image radieuse de l'anticapitalisme et de l'antiracisme.
Cette condition de victime, Sofian, 41 ans, un habitant de Marseille, la refuse. Il a réagi sur Twitter à ce qu’il estime être de l'apitoiement, dès lors qu’un «Arabe» ou un «musulman» fait face à des critiques pour ce qu’il a dit ou ce qu’il a fait, comme Taha Bouhafs – c’était avant que les accusations de violences sexuelles visant ce dernier soient connues:
Je m’appelle Sofian je suis d’origine algérienne. Cela ne me confère aucun totem d’immunité. La loi, la morale, l’éthique s’appliquent à moi comme aux autres. Ceux qui prendraient ma défense dans des circonstances où je serais fautif en raison de mes origines, seraient en tort.
— Sofian 🖖🏻 (@Crohnfighter) May 10, 2022
Avant Taha Bouhafs, profil de cas «ingérable», il y avait eu Mehdi M. Un autre jeune homme, dont cette fois-ci toute la sphère médiatique de gauche s’était entichée, voyant en lui un représentant flamboyant de la banlieue, son avenir incarné. Elle l’avait lâché après la découverte d’un grand nombre de tweets ignominieux, écrits de sa main sous pseudo et qui rendaient compte d'un profond mal-être mêlé d'un sentiment d'invulnérabilité.
La gauche, qui veut se faire pardonner la colonisation et la part bourgeoise qu’elle a en elle, semble prendre un plaisir masochiste à investir son capital politique et médiatique dans des personnages qui peuvent avoir des qualités, qui en ont, même, mais chez qui la rancœur et les complexes sont tels qu’ils peuvent à tout moment lui exploser à la figure. Chacun sa croix, doit penser la gauche, qui a choisi la sienne. La gauche française pense payer sa dette aux «ex-colonisés», elle ne leur rend pas service.