Le géant aux célèbres oreilles est actuellement confronté à une série de polémiques que les réseaux sociaux ont rassemblé (comme ils savent bien le faire) sous un seul et unique hashtag: #boycottDisney. En cause, plusieurs affaires concassées dans un mois de mars un poil tendu pour le patron mondial du divertissement féérique. Mais de quoi parle-t-on exactement? Analyse de la tempête en 6 histoires.
Ce qui a mis le feux aux poudres? Une histoire de censure dans la dernière création animée de Pixar: «Alerte Rouge». Des employés du studio star, racheté par Disney en 2006, se sont plaints auprès de la maison-mère: un baiser entre deux personnes de même sexe n'aurait notamment pas été validé. Début mars, une lettre a été envoyée à Disney et publiée sur Twitter. «Plus que le "contenu inspirant" que nous ne sommes pas autorisés à produire, nous réclamons des décisions.»
En réalité, le studio Pixar a profité d'un scandale autrement plus politique pour dévoiler cette alerte (rouge) à la censure autour du baiser gay. Au début du mois de mars, les élus de Floride ont voté une loi hautement controversée qui interdit aux enseignants du primaire de parler d’homosexualité et de questions de genre en classe. Une loi signée en tout début de semaine par le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis. Forcément, la communauté LGBT s'est étranglée et empressée de surnommer cette loi «Don't say gay!» (Ne dites pas le mot gay.)
Avant que le groupe Disney ne finisse par s'exprimer cette semaine en affirmant que son «objectif en tant qu'entreprise est que cette loi soit abrogée par le corps législatif ou invalidée par les tribunaux», elle avait été étonnamment silencieuse pendant de longues semaines.
Pire, le PDG Bob Chapek avait envoyé, le 7 mars dernier, une note interne dans laquelle il avouait «hésiter à ce que Disney s’oppose à la loi de Floride», après avoir rencontré des employés appartenant à la communauté LGBT. Une communauté qui a manifesté sa colère en pointant l'«apathie» du groupe. Abigail Disney, petite-fille de Roy Disney, en faisait partie: «De nombreuses personnes LGBTQI et leurs alliés travaillent pour ou cherchent l’appui de Disney. Mais Chapek est plus inquiet de la réaction de la droite que de ses partisans et employés loyaux.»
1/ Not to beat a dead horse (which is a very un-Disney thing to do anyway) we all know that corporate statements are often merely performative and ineffective. BUT, to claim that "we all share the same goal of a more tolerant, respectful world,"as Chapek does in his internal memo
— Abigail Disney (@abigaildisney) March 8, 2022
Le PDG s'est excusé publiquement depuis. Tout en promettant de verser jusqu'à 5 millions de dollars à diverses associations LGBT de Floride et à fermer le robinet à cash pour les élus locaux. Peine perdue: l’association Human Rights Campaign (HRC) a refusé de recevoir l'argent.
Rappelons que la Floride est un Etat où Disney est un poids lourd de l'économie grâce à son parc d'attractions Disney World, à Orlando, qui emploie pas moins de 75 000 personnes.
Une énième polémique du mois de mars ressemble cruellement à «l'affaire Alerte Rouge». Cette semaine, Disney a dû revenir sur sa volonté de supprimer un baiser lesbien. Mais, cette fois, dans le film «Buzz l'éclair», en salles en juin prochain. La décision de retirer cette scène entre Hawthorne et sa partenaire, avait provoqué un tel scandale à l’interne que Disney n'a pas eu d'autres alternative que de capituler.
Mais pendant que la firme fait tourner sa communication à plein régime pour tenter d'éteindre le feu du côté de la communauté LGBT, elle se ramasse les colères réacs des Républicains, et notamment ceux de Floride. Logique ou presque: s'excuser publiquement auprès des progressistes fâche forcément les conservateurs. Et notamment le sulfureux gouverneur Ron DeSantis, qui n'a apprécié que très moyennement les contorsions du patron de Mickey face à la loi «Don't say gay!». Et il l'a fait savoir en début de semaine (et en conférence de presse):
Une bagarre idéologique qui a très vite pissé au-delà des frustrations conservatrices de l'ouest puisque des médias nationaux, eux aussi bien à droite, commencent à tirer le même Mickey par les oreilles. Ambiance: l'entreprise, fierté historique de l'Amérique, ne devrait pas se perdre dans les «délires woke qui veulent endoctriner les enfants avec des théories radicales sur la race et le genre.» postillonne Jeremy Boreing, cofondateur du (très) conservateur Daily Wire. Et ça va même plus loin qu'une série de déclarations courroucées puisque, le média va investir plus de 100 millions de dollars pour accoucher d'un nouveau programme baptisé DW Kids, où le contenu LGBTQ+ sera absent. Tout un ramdam médiatique pour concurrencer une firme «qui détestent vos enfants et vos valeurs», selon l’homme de droite.
Ingraham: Why not just name the roller coaster Sex Mountain? pic.twitter.com/BZuYrC4N6Q
— Acyn (@Acyn) March 31, 2022
Jeudi 31 mars, pour enfoncer le clou, c'est la polémiste américaine Laura Ingraham qui, sur Fox News, a décidé de consacrer sa salive à ce Disney qui a «accueilli sa famille en Floride et en Californie cinq ou six fois au cours des 10 dernières années», mais qui aujourd'hui va manifestement trop loin pour elle: «Pourquoi devrions-nous désormais soutenir une entreprise qui déteste les croyants et les Américains traditionnels?»
Si la tempête Disney souffle dans toute l'Amérique, de grosses rafales balaient également les (nombreux) couloirs de l'entreprise. A l'occasion d'une cellule de crise organisée il y a quelques jours, à l'interne et en visioconférence, plusieurs dirigeants se sont succédés pour promettre un redoux dans le ciel magique de l'entreprise. Disney sera de plus en plus inclusif, promis! Un leitmotiv principalement incarné par Karey Burke, ancienne présidente d'ABC Entertainment et actuelle patronne de 20th Television (racheté par Disney en 2019). Dans une vidéo qui irrite actuellement le fil Twitter des conservateurs, elle annonce que «50% des personnages devraient être LGBT ou issus de minorités raciales les prochaines années». Pour ancrer cette promesse, Karey Burke a même dévoilé un morceau de sa vie de famille:
La vidéo a été dévoilée sur les réseaux sociaux par l'activiste de droite et cofondateur du média Daily Wire, Christopher Rufo.
SCOOP: Disney corporate president Karey Burke says, "as the mother [of] one transgender child and one pansexual child," she supports having "many, many, many LGBTQIA characters in our stories" and wants a minimum of 50 percent of characters to be LGBTQIA and racial minorities. pic.twitter.com/oFRUiuu9JG
— Christopher F. Rufo ⚔️ (@realchrisrufo) March 29, 2022
Ce n'est pas une nouveauté, Disney patauge depuis quelques années entre deux vagues: ne pas piétiner d'une semelle trop ferme l'âme historique de son fondateur Walt et se glisser le plus délicatement possible dans une société où la nouvelle génération ne veut plus entendre parler de la frêle et candide princesse. Inclusif, Disney? Pas encore tout à fait, mais ils y travaillent. Dur. Et chacun de ses petits pas vers un futur moins calqué sur la sacrosainte «famille traditionnelle américaine» accouche invariablement d'une polémique. Même si les employés tirent aujourd'hui à boulet rouge sur son PDG, l'arrivée de Bob Chapek en 2020 a pourtant accéléré la volonté du groupe de se défaire (un peu) de son passé (trop?) prude.
Reste qu'il faudra probablement enjamber encore quelques barbelés idéologiques pour que la sérénité (économique et psychologique) de Mickey et de ses dirigeants se réveillent, un matin, totalement libérée et délivrée.