Le général Charles Quinton Brown Jr. a un nouveau boulot et pas des moindres: c'est lui qui dirigera l'armée américaine. Son ascension au sommet du Comité des chefs d'état-major interarmées n'aura pourtant pas été une partie de plaisir. Validé cette nuit par le Sénat, à 83 voix contre 11, notre homme a vu sa nomination bloquée par cette même chambre. Et ce pendant près de quatre mois.
Le responsable? Tommy Tuberville, un sénateur républicain zélé, casse-pied et farouchement anti-avortement, qui considère que la politique du Pentagone est devenue beaucoup trop progressiste. Près de 300 nominations se sont d'ailleurs retrouvées dans cet immense embouteillage cet été, mettant toute l'armée américaine dans un bourbier embarrassant.
Anyway. Pour Joe Biden, c'est un véritable soulagement. Non seulement les bonnes nouvelles se font rares de l'autre côté de la grande gouille, mais celui que le président présente comme son «guerrier», un homme «intrépide» et «courageux», aura du pain sur la planche.
Né en 1962 (le jour exact ne sera jamais communiqué) et très vite surnommé «CQ» dans son quartier de San Antonio, au Texas, le général a grandi sur l’une des branches solides de son arbre généalogique militaire. Son père s'était hissé au grade de colonel au Vietnam et son papy a sué durant la Seconde Guerre mondiale. De quoi forger un mental en titane et s'éloigner de toute volonté d'ouvrir un food-truck à San Francisco.
Il y a encore quelques heures, «CQ» était le patron de l'armée de l'air américaine, nommé le 2 mars 2020 par le président Trump. Une consécration pour ce passionné d'avions de chasse, pilote chevronné, qui passera une grande partie de sa carrière dans le cockpit d'un F-16. Pour l'anecdote locale, en mars 2022, le «guerrier» des nuages fera un petit détour par la base aérienne vaudoise de Payerne, pour y vanter les mérites du F-35A.
En 2020, sa bobine fera le tour de la planète. Quelques semaines après le meurtre de George Floyd, Charles, en tenue de camouflage sur fond sombre, enregistrera une vidéo pour rendre hommage à l'homme qui a été sauvagement étouffé et tué par l'ex-policier Derek Chauvin. Un discours poignant et personnel, parsemé de souvenirs d'enfance et d'optimisme réaliste, qui jaillira d'entre les manifestations et les émeutes. Depuis toujours, dans le ventre de ce désormais puissant patron des armées, «il y a le monde de la majorité et le monde de la minorité».
Si son impressionnant tableau de chasse professionnel ne peut effectivement pas balayer tous les problèmes du monde, ses galons sont historiques. «CQ» n'est que le deuxième Afro-Américain à embrasser les responsabilités de chef d'état-major des armées, après le charismatique Colin Powell, de 1989 à 1993. Avant ça, il fut le premier militaire noir à mener l'U.S. Air Force.
Pas mal pour celui qui a fréquenté des bancs d'école «exclusivement blancs», puis côtoyé des pilotes plus intéressés par sa couleur de peau que par ses prouesses dans les airs: «Il est déjà arrivé qu'on me demande si j'étais vraiment pilote, alors que je portais mon uniforme. Et certains militaires afro-américains trouvaient que je n'étais pas assez noir».
Sans perdre sa foi en l'humanité, Charles deviendra un homme d'action, aux 3 000 heures de vol, dont 130 au combat, supervisant des attaques contre l'Etat islamique et des missions en Irak. Il a d'ailleurs voulu s'envoyer en l'air dès la première botte posée sur le sol d'un cockpit, dans les années huitante. Cette passion «dévorante» lui permettra, par la même occasion, de glisser dans sa poche un diplôme d'ingénieur civil de la Texas Tech University.
Il y a trente-deux ans, le jeune «CQ», alors officier subalterne, manquera de peu d'y laisser sa peau (tant discutée). Alors en pleine session d'entraînement sur une base en Floride, il sera contraint de s'éjecter de son F-16 embrassé par les flammes. Plus de peur que de mal. Sans doute la raison pour laquelle Joe Biden, en mai dernier, lui demandera dans un large sourire si ce fut «amusant» de sauter comme un bouchon de champagne à près de 500 kilomètres à l'heure. Un super-héros supersonique qui sait aussi trouver la bonne réplique quand il s’agit de former les nouveaux Tom Cruise des Etats-Unis:
Si Charles Q. Brown est un général viral, son prédécesseur le fut aussi. Mais pour de moins louables raisons. Le général Mark A. Milley s'est retrouvé sur la sellette en 2020, quelques semaines après l'hommage de «CQ» à George Floyd. Photographié dans les rues de Washington en présence du 45e président des Etats-Unis, il s'était affublé de son treillis de combat pour se faufiler au beau milieu d'une manifestation du mouvement Black Lives Matter. Une provocation qui sera difficile à avaler pour bon nombre de citoyens américains.
Milley écrira malgré tout un bouquin, dans lequel il prouvera s'être violemment opposé au milliardaire, et notamment au «projet d'attaque contre l'Iran», allant même jusqu'à craindre que cette décision devienne le «Reichtag de Trump», comme Adolf Hitler en 1933.
Aujourd'hui, Charles Quinton Brown Jr. est sans doute l'un des militaires les plus puissants du monde. Ce qui ne l'empêche pas de conserver un inoffensif regret entre la vingtaine de médailles qui transpercent son uniforme: «J'ai toujours voulu voler dans un P-51 Mustang à queue rouge». On peut aisément le comprendre, car c'est un peu la vieille Porsche 911 de ceux qui ont le vertige.