Taylor Swift a été réquisitionné par les services secrets pour faire triompher Joe Biden le 5 novembre prochain. Le Super Bowl a été truqué pour faire gagner les Chiefs de son chouchou Travis Kelce. Le réchauffement climatique, le soutien à l'Ukraine et même la couverture médiatique des tracas judiciaires de Donald Trump sont autant de complots orchestrés par le gouvernement démocrate pour asservir les foules américaines.
Plus étrange encore, le film catastrophe récemment diffusé sur Netflix, The World After Us avec Julia Roberts, a permis à certains d'accuser Barack Obama (producteur exécutif du long-métrage) de «programmer» et de «manipuler» les foules par l'intermédiaire d'une «force maléfique».
Il existe encore de nombreux exemples récents, mais vous avez compris le concept. Les républicains les plus paranoïaques sont persuadés que le moindre pet de «l'Etat corrompu» est une manipulation de l'esprit de pauvres citoyens qui n'y comprennent rien. Une thèse qui ne tombe jamais dans l'oreille d'un sourd puisque 18% des Américains croient à un «effort secret du gouvernement pour que Taylor Swift aide Joe Biden à remporter l'élection présidentielle», selon une récente (et effrayante) étude.
Des théories farfelues et surtout invérifiées qui, ces derniers jours, se sont enrichies d'une nouvelle explication. Plus concrètement, c'est une expression qui se promène sur toutes les lèvres conservatrices, dès qu'il faut crédibiliser la conspiration et créer une atmosphère anxiogène: PsyOp.
Le Washington Post a rappelé cette semaine que le très populaire présentateur de Fox News Jesse Watters en a même fait son nouveau mot préféré.
Les collègues de Jesse Watters ne sont d'ailleurs par en reste, puisque la journaliste Rachel Campos-Duffy, pour ne citer qu'elle, s'est tout récemment appropriée les rumeurs de «PsyOp Covid», «PsyOp trans» ou encore «PsyOp ukrainienne» supposément déployées par les démocrates. En d'autres termes, le gouvernement passerait son temps à vouloir faire irruption dans le crâne du citoyen, dans le but de manipuler l'opinion publique.
Ouvrons un dictionnaire, voulez-vous? PsyOp, c'est l'acronyme d'opération psychologique et son origine est à chercher du côté de l'armée américaine.
Autrement dit, il s'agit de tout mettre en œuvre pour que les actions d'un gouvernement puissent être perçues, par la population, comme bénéfiques pour la nation. De la propagande? Oui, mais en plus élaboré. Comme souvent avec les théories du complot, la réalité n'est jamais très loin du fantasme. Car si les opérations psychologiques de l'US Army existent bel et bien, de la capture de Saddam Hussein à Nina Simone en passant par le groupe de rock allemand Scorpions et la guerre du Vietnam, c'est souvent un enfer quand on cherche à distinguer le vrai du faux.
En 2003, à quelques encablures de l'invasion de l'Irak, le pays a été noyé de tracts, produits par la CIA et largués depuis les avions de l'armée américaine. Objectif, décrédibiliser le tyran pour que la population s'en désolidarise. Une opération psychologique qui n'a rien d'un secret des dieux, puisque même l'agence de renseignement raconte sa mission sur son site officiel.
Même chose du côté de la guerre du Vietnam. Comme l'explique le Washington Post, «le gouvernement américain a diffusé par haut-parleurs des messages destinés à inciter les soldats vietnamiens à lever le drapeau blanc». On appelle ça des «PsyOp blanches». Comprenez: tout est assumé, rien n'est mystérieux. Or, la plupart des opérations psychologiques sont évidemment fomentées en mode secret défense.
Le point commun entre Saddam Hussein et Taylor Swift? Le gouvernement américain et ses vils projets. Cette théorie est au moins aussi vieille que la première trompette de Louis Armstrong, qui aurait été utilisé comme «cheval de Troie» au Congo par le directeur de la CIA régional. Alors que le musicien croyait faire une bête tournée dans plusieurs pays africains, accompagné d'un «ambassadeur».
Nina Simone, considérée comme l'une des voix les plus puissantes du mouvement des droits civiques», n'a jamais caché sa volonté de dégainer son grain de voix pour dire au gouvernement ses quatre vérités. Hélas, en 1961, elle deviendra, le temps d'un voyage au Nigéria, la porte-parole involontaire de ce même gouvernement. Accompagnée d'une grappe d'artistes, la chanteuse pensait se produire sur scène pour représenter la Société américaine de la culture africaine. Il s'avérera que l'Amsac servait de couverture à... la CIA, désireuse de saper la réputation de l'Union soviétique et, plus largement, du communisme.
Dix ans plus tard, dégoûtée et en mauvaise santé, elle quittera son pays en le surnommant «les Serpents-Unis d’Amérique».
On a tous sifflé au moins une fois dans sa vie la mélodie populaire qui a fait le succès de Wind Of Change (700 millions d'écoutes sur Spotify). Le tube du groupe de hard rock allemand Scorpions, sorti le 21 janvier 1991, est encore aujourd'hui au cœur d'une théorie qui implique (une nouvelle fois) l'URSS et la CIA. Mais, ici, l'affaire est un poil plus fumeuse, car on prête carrément aux agents secrets américains des talents de songwriting. (Si, si.)
Vous l'aurez compris, Wind Of Change aurait été écrit et composé par la CIA pour donner le coup de grâce au communisme. A la base de cette théorie, on retrouve le podcast (de gauche) Crooked Media, qui y consacrera huit épisodes il y a quatre ans. Si ses fondateurs n'avancent aucune preuve pour étayer cette soi-disant PsyOp, son petit côté croustillant suffira à faire monter la sauce dans le monde entier. Le timing, aussi, permettra de conforter les âmes les plus poreuses, puisque ce tube a été imaginé deux mois avant la chute du mur de Berlin, au retour d'un concert événement (pour le contexte géopolitique de l'époque) à Moscou.
Enfin, les paroles termineront de convaincre les internautes, notamment parce que le chanteur, Klaus Meine, y évoque le parc Gorki de la capitale russe. Au point de s'être vu contraint de prendre la parole pour couper court à cette rumeur tenace.
En 2024, les amateurs de théorie du complot surfent donc sur le flou du passé et le souvenir de Saddam Hussein, pour affirmer que Taylor Swift est une agente recrutée par le Pentagone. Apprendra-t-elle dans dix ans, comme Nina Simone, qu'elle a été utilisée contre son gré à des fins politiques? Rien n'est moins sûr. Ce qui n'empêche pas les démocrates et la communication de la Maison-Blanche de surfer sur la popularité de Taylor Swift, pour propager un message de «paix et d'ouverture» et, qui sait, bénéficier de ses conseils de vote pro-Biden, à quelques mois de l'élection présidentielle.
La frontière est souvent très fine, entre le complotisme pur et dur et une véritable opération psychologique. Optimiste, Mike Rothschild, spécialiste américain du mouvement Qanon, considère dans le Washington Post que la plupart des citoyens ne sont pas dupes. Malgré tout, «les ultraconservateurs qui utilisent l'expression PsyOp aujourd'hui, savent ce qu'ils font. Accuser le gouvernement d'orchestrer une opération psychologique n'impose pas d'avancer des preuves, car il n’y a jamais de preuve dans une opération secrète».