L'histoire semble tout droit sortie d'un James Bond. Sur une île de l'Arctique, à près de 2000 kilomètres de Moscou, la Russie serait en plein test d'un missile de croisière à propulsion nucléaire et pouvant être équipé d'armes nucléaires. L'île de Novaïa Zemlya, située entre la mer de Barents et la mer de Kara dans l'Arctique, compte à peine 2000 habitants. Le terrain est rude, mais idéal pour tester des armes en toute discrétion.
Le «New York Times» s'est penché sur des images satellites datant de septembre. Elles montrent une activité inhabituelle sur la rampe de lancement. Le média américain en déduit que la Russie a soit testé son arme «Burewestnik», soit préparé un test sur la rampe de lancement de Pankovo.
Le Burewestnik ou SSC-X-9 Skyfall est censé être un missile de croisière stratégique russe à capacité nucléaire. On sait peu de choses sur l'arme secrète de Poutine. Mais elle devrait - si un test est un jour concluant - pouvoir voler jusqu'à 20 500 kilomètres. Elle pourrait ainsi faire la moitié du tour du monde et atteindre facilement n'importe quelle cible aux Etats-Unis.
La portée serait plus importante que celle des armes nucléaires stratégiques actuelles, qui est d'un peu moins de 15 000 kilomètres. Les missiles de croisière volent à une altitude maximale de 100 mètres et sont donc souvent trop bas pour être détectés par les radars. Cette arme est unique et «n'a encore jamais été utilisée par une autre nation», d'après la «Nuclear Threat Initiative». Cette organisation à but non lucratif basée à Washington met en garde contre les développements nucléaires et fait du lobbying contre l'utilisation d'armes de ce type.
Poutine lui-même a déclaré que le missile serait à propulsion nucléaire. On suppose que le missile de croisière décolle d'abord avec un moteur-fusée à combustible solide et qu'il allume ensuite un réacteur nucléaire en vol. L'arme peut certes aussi porter un engin explosif conventionnel, mais dans la pratique, il serait probablement équipé d'une charge nucléaire, même si celle-ci est plus petite que d'habitude. Selon des experts du «New York Times», celle-ci pourrait également détruire de grandes zones urbaines et des objectifs militaires.
Le Burewestnik est l'une des six armes nucléaires stratégiques dont Poutine a présenté le développement en 2018. A l'époque, dans son discours, il s'est adressé à l'Occident:
Selon les affirmations du président russe, les six armes pourraient venir à bout des systèmes de défense américains. Poutine ferait voler son dernier jouet - officiellement - en seconde frappe, c'est-à-dire lorsque la Russie elle-même aurait été touchée par des missiles nucléaires et serait réduite en cendres, écrivent les experts de la «Nuclear Threat Initiative». Burewestnik devrait être opérationnel d'ici 2025. Les experts estiment que cela est peu probable. En raison d'«obstacles techniques», le développement est encore loin d'être achevé.
La Russie a déjà testé son arme secrète à plusieurs reprises. Mais jusqu'à présent, aucun vol n'aurait été satisfaisant. On connaît 13 tests effectués entre 2017 et 2019. Lors d'un test en 2019, le missile de croisière a explosé et sept personnes ont perdu la vie.
Lors d'un lancement réussi, Burewestnik a parcouru 35 kilomètres, mais après deux minutes, le missile s'est écrasé en mer. Un autre test s'est soldé par l'échec de l'allumage du réacteur nucléaire et le missile s'est à nouveau écrasé en mer à quelques kilomètres de la rampe de lancement. Depuis, le calme est revenu sur le site d'essai dans l'Arctique - du moins, aucun autre test n'a été signalé. Pour le moment.
Les images satellites analysées par le «New York Times» montrent des mouvements inhabituels sur l'île. Une première image a été prise le 20 septembre: de nombreux véhicules sont stationnés sur la rampe de lancement, ainsi qu'une remorque de la taille d'un missile de croisière. Un toit de protection contre les intempéries, qui recouvre normalement la rampe, a été déplacé.
Dès l'après-midi du même jour, la remorque avait disparu et l'abri avait retrouvé sa place habituelle. Huit jours plus tard, les images satellites montrent la même opération. Les mouvements sur la base militaire correspondent aux images satellites des tests effectués par la Russie en 2017 et 2018.
Autre fait inhabituel: le 31 août, les autorités russes ont mis en garde contre une «zone de danger temporaire». Elles ont conseillé aux pilotes d'éviter une partie de la mer de Barents et l'espace aérien situé à 19 kilomètres de la base de lancement, mentionne le «New York Times». L'avertissement a été prolongé à plusieurs reprises et reste valable jusqu'au dimanche 6 octobre. Des annonces similaires ont été faites lors d'un test en 2019.
Début août, deux avions ont atterri à environ 160 km de la base de lancement, sur la base aérienne de Rogatchovo, comme l'a constaté l'organisation environnementale norvégienne Bellona à l'aide d'images satellites. Les avions appartiennent à l'autorité nucléaire russe Rosatom. Ils pourraient donc avoir fourni la capsule de propulsion nucléaire nécessaire. Les deux appareils sont restés jusqu'au 26 septembre. Là aussi, le processus est similaire à un test effectué en 2018.
Un avion de reconnaissance américain de type Boeing RC-135 Rivet Joint a également effectué au moins deux missions le long des côtes de l'île arctique, les 19 et 26 septembre.
Selon Daryl G. Kimball, directeur de l'Arms Control Association au «New York Times», l'arme en question est «dangereuse dans sa phase de test et de développement». Il ajoute qu'elle est encore à des années d'une «utilisation opérationnelle».
Si un test avec un réacteur nucléaire dans le missile échoue - par exemple à cause d'une explosion - le missile de croisière pourrait libérer de l'énergie radioactive, explique l'expert. C'est pour cette raison que les Américains ont par exemple interrompu le développement de missiles de croisière nucléaires.
La Maison-Blanche n'a pas fait de déclaration au «New York Times» sur d'éventuels nouveaux tests nucléaires de la part de la Russie. Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a nié les faits, d'après la «Deutschlandfunk».
Le président russe Vladimir Poutine n'a pourtant cessé de menacer l'Occident d'une utilisation d'armes nucléaires dans le cadre de sa guerre contre l'Ukraine.
Avec ce nouvel essai, une menace de plus pour l'Occident, il pourrait à nouveau tenter de démontrer la puissance de sa nation.