Bien qu'il bénéficie de l'un des services de protection les plus élaborés de la planète, d'une équipe de médecins de premier rang et d'une santé de fer, même le roi d'Angleterre n'est pas à l'abri d'une chute dans les escaliers. L'oncle d'une de mes connaissances, par exemple, est décédé en s'étouffant avec un bretzel.
On ignore dans quelle mesure, à quelques jours de son sacre, Charles évite soigneusement les biscuits apéritifs, mais voici ce qu'on peut supposer s'il venait à disparaître tragiquement avant samedi.
Tout d'abord, rassurez-vous: le royaume ne se retrouvera pas tout à coup privé de souverain. Quand il s'agit de maintenir la continuité juridique de la monarchie, pas de discussion.
Comme le veut la tradition millénaire, à la seconde où le coeur de Charles cessera de palpiter, c'est son successeur héréditaire, William, qui deviendra roi. D'où la fameuse proclamation a priori un peu contradictoire:
Pour marquer officiellement son passage à l'état de roi, pas besoin de couronnement. Longtemps nécessaire pour légitimer le souverain de manière publique, de nos jours, il relève davantage d'une «simple» formalité symbolique et cérémonielle, notamment pour confirmer le monarque en tant que «gouverneur suprême de l'Eglise d'Angleterre».
D'ailleurs, de nombreux souverains de l'histoire britannique n'ont jamais eu droit à leur entrée triomphante dans l'abbaye de Westminster. Prenez ce pauvre Edward V, par exemple. Projeté sur le trône à l'âge de 12 ans après la mort subite de son père, en avril 1483, les préparations de son couronnement battent leur plein lorsqu'il «disparaît» mystérieusement. Programmée pour le 22 juin 1483, la cérémonie n'aura jamais lieu (et le malheureux Edward V ne sera jamais retrouvé).
D'autres couronnements ont été sacrifiés, faute à de mauvais timing (un laps de temps trop long entre l'avènement et la cérémonie) ou, plus pragmatiquement, un manque de moyens financiers. En 1831, en pleine période de dépression économique, on a quasiment dû supplier Guillaume IV d'organiser une mini-cérémonie. Cette dernière restera finalement gravée dans les annales royales comme l'une des plus «sobres» jamais organisées.
Mais revenons à nos moutons. A supposer qu'une cacahuète se perde malencontreusement dans l'œsophage de Charles, un plan détaillé est déjà prêt: «Opération Menai Bridge», du nom d'un pont suspendu au Pays de Galles.
Souvenez-vous de l'opération «London Bridge», déclenchée le 8 septembre, à la disparition d'Elizabeth.👇
Pragmatisme britannique oblige, cette planification a débuté très tôt: Charles n'est pas roi depuis deux semaines lorsqu'un ancien officier de la protection royale confie, le 20 septembre 2022, à l'émission Today:
Au moment fatidique, le protocole édicté par le Palais est réglé comme du papier à musique. De l'ordre des annonces (la famille de Charles sera la première informée de la triste nouvelle, suivi du Premier ministre Rishi Sunak) à l'allocution à la nation de William. Pendant ce temps, le corps de Charles sera déplacé de la salle du trône de Buckingham Palace à Westminster Hall, où il «reposera en état», comme nous l'avons vu avec la reine.
Le bon sens voudrait que, comme il devient roi tout de suite, le prince William prenne tout bêtement la place de son père cette semaine, dans l'abbaye de Westminster. Ce serait trop simple. Si Charles décède cette semaine, la cérémonie du couronnement organisée depuis des mois tombe à l'eau. Il faudra tout reprendre à zéro.
La coutume veut que des funérailles nationales se tiennent environ neuf jours après la mort du monarque (onze jours, dans le cas d'Elizabeth), avant son inhumation dans la «voûte royale» de la chapelle commémorative du château de Windsor.
Une période de deuil de plusieurs mois sera ensuite instaurée avant le couronnement de William. Sa longueur a varié au fil des siècles: deux ans, par exemple, dans le cas d'Edward Ier, trop occupé à batailler pendant la neuvième croisade quand il a accédé au trône en 1272. Le roi Edgar, pour sa part, a patienté environ 15 ans après son avènement en 957. Ce qui est loin d'être le cas d'Harold II, en 1052, dont le sacre a été célébré au lendemain même du décès tragique de son prédécesseur.
Ce n'est que depuis le 19e siècle qu'on juge opportun de fixer cette période d'attente à une poignée de mois. Juste de quoi laisser le temps aux organisateurs royaux de transpirer un peu pour peaufiner les innombrables détails de cette cérémonie séculaire. Des assistants qui doivent secrètement espérer, aujourd'hui, que Charles mâche consciencieusement ses crackers avant le 6 mai.