Une étendue sans fin, infiniment lointaine: quelle que soit la côte sur laquelle on se trouve, la haute mer ne se laisse pas apercevoir. Elle ne commence qu'à 200 miles nautiques, soit environ 370 kilomètres, des côtes et est plus grande que tout le reste du monde. Ses eaux couvrent plus de la moitié du globe terrestre et ont valu à notre Terre un surnom qui semble désormais presque galvaudé: la planète bleue.
La plupart des gens ne voient jamais la haute mer. Et pourtant, sans elle, nous ne pourrions pas exister. Les eaux du monde produisent plus de 50% de l'oxygène que l'on trouve dans l'atmosphère. Elles refroidissent la planète, absorbent les gaz à effet de serre, fournissent de la nourriture et abritent plus d'animaux et de plantes qu'il n'y en a sur la surface terrestre de tous les continents. Mais une malédiction pèse sur la haute mer.
La haute mer n'appartient à personne car ses eaux se situent en dehors des territoires nationaux. C'est précisément pour cette raison que cette partie du monde est exploitée comme aucune autre. C'est pour ainsi dire une zone de non-droit.
Certes, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1980 réglemente l'exploitation de la haute mer et de ses ressources. Mais la protection de l'écosystème, de la faune et de la flore, n'y figure pas du tout. Jusqu'à présent, seul 1% de ces zone est protégé de l'exploitation humaine par d'autres moyens.
Partout ailleurs, la règle est la suivante: chacun prend ce qu'il veut. Sans se soucier des pertes, et surtout pas de celles de la collectivité. Et ce malgré des ressources limitées. Les conséquences sont particulièrement visibles au niveau des stocks mondiaux de poissons.
Plus d'un tiers des stocks de poissons sont désormais considérés comme surpêchés et la tendance est à la hausse, avertit l'Organisation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. Parallèlement, de plus en plus de déchets plastiques se retrouvent dans les océans. On estime qu'ils représentent jusqu'à 12,7 millions de tonnes par an, soit l'équivalent d'un chargement de camion par heure. Si cela continue, le poids du plastique marin pourrait dépasser la masse totale de tous les poissons d'ici 2050.
Les espèces qui parviennent encore à subsister sont mises à mal par la crise climatique et l'augmentation du bruit sous-marin. La haute mer devient plus chaude, plus acide et plus bruyante. Il ne reste plus que quelques zones de refuge qui ne sont pas soumises à la pression de l'homme. Et là aussi, la fin de la tranquillité menace.
En effet, les eaux profondes sont souvent riches en cobalt et autres minerais rares, un fait qui fait rêver de plus en plus d'entreprises minières. Là où les gisements terrestres s'épuisent et où l'extraction coûte de plus en plus cher, elles affûtent leurs foreuses pour l'exploitation minière sous-marine.
De la surface de l'eau jusqu'aux profondeurs, les océans du monde sont désormais sous pression. Il ne semble guère surprenant que le secrétaire général de l'ONU, Antonio Gutérès, ait déclaré en juin «l'état d'urgence des océans». Comme lui, nombreux sont ceux qui espéraient qu'avant la fin de l'été, il y aurait pour la première fois un accord juridiquement contraignant de l'ONU pour la protection de la haute mer.
En effet, cela fait plus de 20 ans que les Nations unies œuvrent à l'élaboration d'un tel traité. La pollution plastique, chimique et sonore, tout comme l'exploitation des zones de pêche et des matières premières, n'ont pas seulement des effets locaux car les mers du monde sont étroitement interconnectées. Si elles sont polluées ou surexploitées à un endroit, cela a des conséquences sur l'ensemble de l'écosystème.
Le dernier cycle de négociations des Nations unies sur la protection de la biodiversité dans les eaux internationales s'est achevé tôt samedi matin. Le résultat est le même que les quatre dernières fois: aucun accord n'a été trouvé.
«Cette issue de la conférence est regrettable, car l'état catastrophique des océans est connu de tous et s'aggrave rapidement», déclare Fabienne McLellan, directrice de l'organisation de protection des océans Oceancare. Elle s'était rendue à New York pour les négociations, avec dans ses bagages, l'espoir d'obtenir des zones marines protégées, un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes et, surtout, un «TÜV (Association d'inspection technique) environnemental» pour la haute mer.
«Cela peut paraître un peu sec, mais c'est un instrument de politique environnementale qui permet d'examiner les projets et les autorisations en fonction de leur impact sur l'écosystème de la haute mer», a déclaré McLellan. Selon elle, le «TÜV environnemental» est un instrument de contrôle systématique avec des normes contraignantes pour l'ensemble de la haute mer.
Les activités qui ne passeraient pas le contrôle TÜV ne seraient pas autorisées. Si l'idée figure dans le dernier projet de traité, les détails pratiques font encore défaut.
Mais on reste optimiste. C'est de toute façon la seule option possible au vu du nouvel échec des négociations.
L'entrée en vigueur prochaine de l'accord dépendra de l'Assemblée générale des Nations unies. Celle-ci doit donner son feu vert à un nouveau cycle de négociations. Et même dans ce cas, il faut au moins 60 Etats signataires pour ratifier l'accord.
Trouver des compromis dans ce domaine n'est pas chose aisée. Les intérêts nationalistes des différentes délégations étaient clairement perceptibles dans la salle de négociation. Les pourparlers n'ont finalement échoué que sur des questions de détail et en raison du temps limité. Nous sommes dans la dernière ligne droite, mais il faut que cela fonctionne lors de la prochaine tentative. C'est aussi dans l'intérêt de la protection du climat.
«Les océans sont nos meilleurs alliés dans la lutte contre le changement climatique», a déclaré McLellan. «Ils ne peuvent remplir leur fonction de régulateur du climat que s'ils sont en bonne santé et résilients. Chaque espèce marine joue un rôle important dans ce fragile équilibre écologique. La préservation de la biodiversité doit donc être au cœur de l'accord sur la haute mer et les gouvernements doivent y veiller.»
Article traduit de l'allemand par Léa Krejci
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