Le punk ne mène à rien. No future qu'ils disaient. Johnny Rotten peut en témoigner. Le gueulard de ce que fut, jadis et dare-dare, le phénomène Sex Pistols est aujourd'hui un vieil homme fauché et fatigué. Il y a quelques jours, le précoce retraité du rock à crête a même félicité la reine «pour sa réussite et sa longévité». Jaloux et résigné, avec ça.
Johnny Rotten, dont l'existence est toujours moins longue que le règne de Sa Majesté, se divertit comme il peut, entre tribunaux et produits dérivés. Profitant de la lumière du jubilé pour lustrer la machine à cash, l'entreprise Sex Pistols propose aux anarchistes repentis des pièces de monnaie commémoratives et un vinyle collector. Le brûlot antimonarchique God save the queen, censuré en 1977, coule en ce moment des jours gnangnans dans un étui en tweed (et en vente). N'en jetez plus. Tant que ça rapporte, Never mind the bollocks, Here's the Sex Pistols!
Quarante-cinq ans après les disques d'or, place au jubilé de platine. Et c'est très bien ainsi. Pour célébrer la reine en grande pompe, il faut enterrer le punk en plastique. Indétrônable, infatigable et increvable, Elizabeth Alexandra Mary fête cette semaine ses 70 ans de boîte. Une sauterie sans drogue, sans frasque et sans bruit, mais polluée par les drogues, les frasques et le bruit des autres.
Car l'enfer, pour Lilibeth, c’est les autres. Charles, Andrew, William, Harry. Pour ne citer qu'eux. Ces têtes plus volontiers à claques qu'à couronne, n'ont fait que siffler l'oseille et la noblesse au goulot, les coudes sur la table et les couilles au placard. Collectionnant infidélités, divorces, marathons judiciaires, mensonges et trahisons comme des adulescents qui s'ennuient dans leur garçonnière à moulures. Même son défunt prince Philip trouvait le temps d'entasser maîtresses opportunistes et maladresses racistes.
A défaut d'effrayer la reine, ils ont défrayé la chronique. Tous. Sans exception. Lui refilant un boulot monstre. Elizabeth, tel un tuteur de 163 centimètres planté dans les jardins tempétueux de Buckingham, a dédié une grande partie de sa carrière à défendre cette famille royalement insortable. A réparer les conneries des petites frappes du palais. Une mamá flegmatique qui a toujours mis ce décorum monarchique, aussi inutile qu’indispensable, au service d'un sens de l'honneur et d’une loyauté hors du commun. «Comme toutes les meilleures familles, nous avons notre part d’excentricités, de jeunes impétueux et capricieux et de désaccords familiaux.»
Plus qu'une longévité, qu'on réserve d'ordinaire au Guinness Book, c'est précisément cette endurance peu enviable que les Britanniques célèbrent aujourd'hui. Car sa seule existence a permis, à certains, d'exorciser leurs chinoiseries punks, à d'autres, de trouver leur voie. Moins fragile qu'une Britney Spears et plus consistante qu'une miss Monde, Elizabeth II n'a jamais envisagé son rôle de reine-sandwich à la légère. Donnant l'exemple loin à la ronde, sans jugement ni moralisme dégoulinant, mais avec cette droiture et cette audace récompensées depuis longtemps par l'amour immodéré que lui porte, par exemple, la pop culture. Faisant d'elle non seulement l'égérie punk la plus respectée (et la plus rentable) de la planète, mais une chair disponible et consentante à la liberté d’expression de centaines d’artistes.
Les autres, toujours.
Alors que le monde entier célèbre cette semaine cet inimitable règne, on peut affirmer que Chris Levine a réussi son coup.
Beugler trois versets à l'allume-feu en 1977, c'est foutrement moins subversif que de chanter le même hymne pendant 70 ans. Johnny Rotten avait raison: «La reine n'est pas un être humain». C'est pire que ça. A une époque où plus rien ne dure et dans une monarchie où les héritiers font craindre le pire, thank god, la constance règne. Encore.