«Un hobby de milliardaires», lit-on beaucoup depuis la dramatique disparition du sous-marin touristique Ocean Gate. C'est vrai. Même si les tonnes de commentaires glanés sur les réseaux sociaux fleurent bon le sarcasme, s'enfermer dans une petite baleine en fibre de carbone, ça coûte effectivement plus cher qu'une initiation au paddle à Yvonand. Or, le coût du voyage n'est souvent que l'unique moyen de rassasier une fringale beaucoup plus précoce, personnelle et intense.
A côtés de l'explorateur du dimanche, de l'explorateur sportif et de l'explorateur en CDI (comme Neil Armstrong et Buzz Aldrin en 1969), on aime à se moquer de l'explorateur total et maladif, qui explore les fonds marins comme sa propre existence. Il nous agace.
D'abord, parce qu'on n'a pas toujours les moyens de le suivre, mais aussi parce qu'il a cette fâcheuse tendance à ne jamais se contenter de ce qui lui est fourré sous le nez. En classe, c'était celui qui regardait le ciel au lieu d'écouter la prof d'histoire. L'emmerdeur qui snobait les interdiction d'entrer, d'ouvrir, de toucher. Le mioche qui faisait entrer un triangle dans un orifice carré.
Toujours la bougeotte, jamais rassasié. La côte basque tous les étés, dans le même mobile-home, très peu pour lui.
Découvrir est à la portée de tous. Mais explorer les étoiles (de mer ou filantes) est beaucoup moins inutile que de faire la queue devant l'Aquarium de Gènes en tongs. Qu'importe le budget, puisque le risque et l'aventure sont des besoins qui naissent toujours avant le moindre business plan. Gamin déjà, obnubilé par «l'infini», le milliardaire britannique Richard Branson voulait viser la lune pour apprendre à mieux aimer la planète bleue.
On ne devient pas immensément riche en pinaillant sur les deux heures sup’ enquillées la veille. A moins de gagner le gros lot ou d’hériter de l’empire familial, faire fortune est une aventure volontaire, sauvage, dangereuse. Exit les congés payés, les ventilateurs de bureau et la verve du preux syndicaliste. Mais pas besoin, non plus, de devenir Jeff Bezos pour enjamber la balustrade.
Balayer l'éventualité d'une carrière d'aide-comptable pour s'embarquer là où l'école n'offre aucun GPS, c'est déjà une exploration bourrée de chicanes passionnantes. Idem en vacances: préférer la plage escarpée, mais déserte, aux transats de la buvette du port, trahit un intérêt chronique pour l'ailleurs, moins foulé, moins convenu, moins garanti, moins sûr. Une fois riche, cette plage deviendra peut-être une exploration du Titanic pour 250 000 dollars, ou la construction de sa propre fusée pour une poignée de milliards.
Avant d'envoyer le fruit de son imagination dans l'espace, Elon Musk pestait depuis tout petit contre «ces énormes préjugés sur la prise de risques» et «ce réflexe qui consiste à passer sa vie à protéger son propre cul». Mike Horn assurait que «rentrer vivant et plus riche» le rendait «plus fort». Cliché? Un peu, certainement.
Mais pour de riches aventuriers obsessionnels (voire un peu mégalo), risquer la mort et la banqueroute fait vibrer le même nerf dans l'estomac. Ce n'est d’ailleurs pas un hasard si les citations les plus inspirantes exaspérantes sortent de la bouche des Christophe Colomb les moins à plaindre: ils sont allés plus loin que le commun des mortels.
Si l'expédition est un hobby de milliardaires, c'est qu'ils sont parvenus à gagner de l'argent avec le même goût du risque et de l'aventure qu'ils fouillent les profondeurs. Si le courage ne s'achète pas, la curiosité n'aura jamais de prix.