Emmanuel Macron s’est-il fait rouler dans la farine par Vladimir Poutine? Cela en a tout l’air. En campagne électorale sans l’être tout en l’étant, le président français serait l’un des derniers, sinon le dernier dirigeant occidental à avoir régulièrement au téléphone le président russe. Qui le lui reprocherait? Mieux vaut continuer de parler à un chef de guerre avec qui le pire paraît sûr, plutôt que de s’ôter toute chance de lui arracher un peu d’humanité.
Sauf que ce lundi matin, le «lien direct» entretenu avec le Kremlin par le locataire de l’Elysée s’est retourné contre ce dernier. Qu’a-t-on appris? Qu’Emmanuel Macron aurait obtenu l’ouverture de couloirs humanitaires pour l’évacuation des civils ukrainiens. Good job, le Frenchie, il donne de sa personne pour sauver des vies, s’est-on dit, à l’heure du premier café de la journée.
Malheureusement, il apparaît qu’Emmanuel Macron a été dupé par Vladimir Poutine. Avec ce dictateur, pas la première, pas la dernière fois, sans doute. Les démocraties s’en rendent compte ces jours-ci.
Alors, que s’est-il passé? Ou plutôt, que s’est-il dit? Il a été dit, côté russe, que c’est à la suite d’une «demande personnelle» d’Emmanuel Macron que des corridors humanitaires seraient ouverts au départ de plusieurs villes ukrainiennes. Cette formulation aurait dû nous mettre la puce à l’oreille, car elle fait porter au président français le chapeau du fait militaire accompli: les forces russes progressent en pilonnant, les civils fuient, l’armée ukrainienne, faute de soutien occidental aéroporté, ne pourra pas résister éternellement et l’Ukraine finira par tomber, entière, aux mains des Russes. C’est diablement cynique.
D’autant plus cynique que Moscou veut bien ouvrir de tels corridors, mais en direction de la Russie. Pour les Ukrainiens, c'est se jeter dans la gueule du loup, se rendre à l'ennemi, alors que la seule voie de secours est l’ouest.
Face au coup fourré, l’Elysée n’a pas tardé à répliquer. Sauf que répliquer, c’est se justifier et paraître dominé, quand il vaudrait mieux rester maître du seul jeu où l'on s'expose publiquement, celui de la diplomatie humanitaire. L’Elysée a donc dit ceci: «Le président de la République n'a ni demandé ni obtenu des couloirs vers la Russie après sa conversation avec Vladimir Poutine. Le président de la République demande de manière insistante de laisser partir les populations civiles et de permettre l'acheminement de l'aide».
Sans doute faut-il lire entre les lignes de ce communiqué. S’il est bien question d’évacuation des populations civiles, il est aussi fait mention de l’acheminement d’une aide. Mais pour qui? Pour les soldats ukrainiens? Pour les volontaires civils s’apprêtant à défendre Kiev et d’autres villes non encore prises ou en voie de l’être? Mais les Russes ne veulent pas entendre parler d’aide apportée à ceux qui restent.
Le dilemme ukrainien est dramatique: maintenir dans les villes des civils armés de façon à offrir la plus longue résistance possible face aux Russes, ou partir, parce qu’on sait le combat perdu d'avance. Dans le premier cas, les Russes ne manqueront pas de dénoncer le recours de l’armée ukrainienne à des «boucliers humains». Dans le second cas, ils parleront d’abandon du terrain. On a appris ce lundi, en fin de matinée, que Kiev refusait les couloirs proposés par la Russie.
Dans le communiqué de l’armée russe affirmant que c’est à la «demande personnelle» d’Emmanuel Macron que Moscou consent à l’ouverture de couloirs humanitaires, il y a tout ce dilemme-là. Et comme l’idée que le président français participerait d’un sentiment défaitiste côté ukrainien, alors qu’il s’agit en réalité de sauver des vies.
A l’avenir, Emmanuel Macron, dont l’armée qu'il commande prête en ce moment main-forte aux pays de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) situés au plus près de la Russie, serait bien avisé de ne pas chercher à trop paraître en faisant connaître tous ses coups de fil passés à un Vladimir Poutine plus agressif et retors que jamais.