Au printemps 2024, les rues de Palma avaient vibré au son des slogans anti-touristes. On se souvient des banderoles proclamant «la ciudad no se vende» («la ville n’est pas à vendre»), des jets d’eau sur des groupes de visiteurs, et de manifestations où résidents et associations réclamaient un frein au tourisme de masse.
Les images avaient fait le tour du monde, renforçant l’image d’une île saturée et prête à dire stop. Un an plus tard, le ton a changé: ce sont désormais les terrasses vides, les boutiques qui baissent le rideau et les restaurateurs inquiets qui occupent le devant de la scène.
Dans les zones phares comme Sóller ou Capdepera, certains établissements constatent jusqu’à 40% de clients en moins par rapport à l’année précédente, selon The Independent. Juanmi Ferrer, président de l’Association de Restaurants de Mallorca (CAEB), craint pour les commerces si la fréquentation ne reprend pas.
Les excursions organisées souffrent, elles aussi: Pedro Oliver, président du Collège des Guides Touristiques, rapporte une baisse de 20% des ventes dans des hauts lieux comme Valldemossa, Palma ou Port de Sóller, touchant aussi bien les marchés britannique et allemand que les visiteurs italiens et espagnols.
Sur les marchés de rue et dans les commerces de souvenirs, les touristes sont présents, mais dépensent moins. Certains commerçants parlent d’une chute des revenus de l’ordre de 20%. Même les plages ne sont plus la machine à cash qu’elles étaient: en juillet 2025, les services de plage ont rapporté 20% de moins qu’à la même période en 2024, selon l’association Adopuma cité par le Majorca Daily Bulletin.
Le secteur du transport touristique n’est pas épargné. Rafel Roig, représentant des autocaristes, évoque une baisse de 20% des réservations pour juillet et août et pointe du doigt un climat général où les voyageurs ont l’impression de ne plus être les bienvenus.
Dans les villes où il fallait autrefois se frayer un chemin entre les terrasses bondées, le calme est désormais presque gênant. «Vous partez à 19 heures et tout le monde s’est volatilisé», raconte une habitante, citée par le journal espagnol AS.
Un restaurateur confie au média qu’il aura du mal à boucler la saison si les «touristes de qualité» ne reviennent pas, tandis qu’un voyageur étranger explique avoir préféré passer ses vacances au Portugal cette année:
Le choc est d’autant plus rude que le tourisme représente entre 45% du PIB de Majorque et 35% de l’emploi sur l’île, selon les analyses économiques disponibles. Le secteur des services, pilier de l’économie locale, voit sa croissance freinée: elle est estimée à 2,9% en 2025, contre 4,3% en 2024.
A cela s’ajoute une baisse des réservations allemandes, principal marché émetteur, liée à la hausse des prix et à l’inflation globale. Les chiffres de Turespaña montrent que le pouvoir d’achat des visiteurs a atteint ses limites face à l’augmentation des tarifs de l’hébergement, de la restauration et des activités.
Les autorités baléares, elles, relativisent. Elles rappellent que les données officielles de mai ne font état que d’une baisse globale de fréquentation de 1,6%, rapporte le Majorca Daily Bulletin.
Les autorités locales soulignent également que la stratégie actuelle vise à attirer un tourisme plus durable et plus haut de gamme. Le plan, déjà en discussion avant les protestations de 2024, mise sur une transformation progressive plutôt qu’un changement brutal.
Mais sur le terrain, les commerçants peinent à se rassurer et dénoncent l’impact direct des messages hostiles qui ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux.
Majorque se retrouve donc coincée dans un paradoxe. Après avoir crié haut et fort «Touristes, rentrez chez vous», l’île doit désormais convaincre les voyageurs de revenir. Entre volonté de préserver la qualité de vie des habitants et nécessité de maintenir en vie l’économie locale, l’équilibre est fragile.