En Ukraine, on trouve des larmes, des tanks, des morts et des starlettes. Françaises, les starlettes. Le philosophe Bernard Henri-Lévy, le député franco-suisse pro-Zemmour Joachim Son-Forget et le cinéaste Mathieu Kassovitz ont récemment mis les pieds dans le conflit et dans le plat. L'un à Odessa, l'autre à Kiev et le dernier à Lviv. Trois itinéraires, mais la même appétence pour s'imposer là où les regards sont braqués. La pandémie (par exemple) hier, la guerre en Ukraine aujourd'hui. Comme des chatons à la poursuite de la lumière.
Après l'Afghanistan, la Bosnie, l'Irak, le Darfour ou le Café de Flore, le penseur tout-terrain est en Ukraine. Depuis toujours, BHL alterne avec souplesse carnets de guerre «au cœur de l'opération» et petites confidences chez Ardisson. Considéré tour à tour comme un propagandiste en costard, un guignol en vacances ou un génie en tout, Bernard Henri-Lévy adapte plus rigoureusement les itinéraires à la dangerosité des destinations que sa tenue à la réalité du terrain.
Un voyage, une photo. Invariablement. Si possible en action. Mais toujours en col échancré. BHL est blindé, beau gosse, cultivé et charmeur. Et, parfois, un corps en représentation est une arme de persuasion massive. (Même sur la pointe des pieds.)
Sans oublier que chuchoter aux oreilles des présidents et pisser aux quatre coins des journaux parisiens lui ont très vite permis d'incarner l'intelligentsia française sur les lignes de front. Et s'imposer au chausse-pied, c'est une compétence qu'il partage avec Joachim Son-Forget sous les bombes ukrainiennes.
Le fantasque député Joachim Son-Forget n'a jamais boudé le plaisir d'être au cœur de tout et un peu n'importe quoi. Pro-Zemmour après avoir été En Marche, le voilà en marge. Adepte de «l'enfer c'est les autres», hydratant le débat public de phrases et de frasques dénuées de toute logique, le Franco-Suisse a pris la route pour Kiev il y a quelques jours.
Alors que la pandémie a drainé son char de «penseurs par eux-mêmes», s'improvisant épidémiologistes à grands coups de doutes sur Facebook, notre soldat-en-selfie est à Kiev pour afficher sa propre impression du conflit. Et parce qu'il est foutrement convaincu d'être «utile». Sans vraiment réaliser qu'en restant planqué dans une chambre de la capitale pour narrer les exploits de ses «amis partis au front», il ne rend service qu'à son compte Twitter, tout en embarrassant la diplomatie.
Dans son argumentaire, Son-Forget joue machinalement à son propre «je», évinçant sans effort les véritables héros de la guerre, dont il loue les exploits et avec qui il pose fièrement à longueur de posts sur les réseaux sociaux. Et derrière un déguisement de «G.I. Joachim» en mousse, le député cherche (et parvient!) à tutoyer la bravoure, sans jamais s'y brûler. Personne n'a envie de le voir attraper une balle perdue. Mais, plus grave: personne n'en a l'intérêt. De la France à l'Ukraine. De Macron à Zelensky.
Enfin, Kassovitz. Le cinéaste-à-vif est de retour de Lviv. Un pèlerinage dans le soufre des combats qu'il n'a pas fait pour lui, mais pour un copain: «Il m'a dit, il faut que tu nous aides à nous faire entendre». Ce copain, c'est l'artiste-activiste JR qui a fait le déplacement pour dérouler une fresque en hommage aux Ukrainiens.
❤️ @TIME pic.twitter.com/HIS0Eyf9b9
— JR (@JRart) March 17, 2022
A l'instar du soldat Joachim, l'auteur de La Haine se retrouve à jouer le rôle d'homme-sandwich de l'indicible, par le prisme de lui-même. Sur le plateau de BFM TV jeudi, le cinéaste a apporté l'horreur de la guerre. Il voulait «témoigner». Il l'a déjà fait plus tôt sur RTL ou encore dans Le Parisien. Mathieu Kassovitz raconte notamment le «flux des réfugiés à la frontière polonaise qui dorment dans le froid» ou le destin de ces «enfants qu'il faut nourrir après trois jours d'attente».
Mais, très vite, l'autoportrait émotionnel prend le relais. Kassovitz fond en larmes devant Bruce Toussaint. «Je suis fils de réfugié.» Son père a vécu 39-45 à l'âge des gosses ukrainiens en 2022. Un père qui s'est ensuite sauvé de son pays à 18 ans, en 1956, «quand les Russes sont entrés en Hongrie». Et puis, partant des petits Ukrainiens, le voilà dans son arbre généalogique: «J'ai peur pour mes enfants».
Il aurait pu s'en tenir à cela: incarner le pourvoyeur d'émotions bankable que les médias invitent pour dire ce que l'on sait déjà beaucoup trop bien. Mais il est également revenu d'Ukraine avec:
Et puis, à des kilomètres de ce flagrant délire narcissique, l’ancien joueur de tennis ukrainien Alexandr Dolgopolov, 33 ans, est retourné dans son pays et a pris les armes. Avec cette décence naturelle d'avertir qu'il n'est «pas devenu Rambo».
BHL, Son-Forget et Kassovitz, chacun à leur manière et armés d'une ribambelle de bonnes intentions, ne peuvent réfréner un désir de lumière. Certes, ils veulent «aider», «soutenir», «témoigner», «analyser», «dénoncer», mais plus que tout: être au cœur de la guerre et paraître indispensable.
Ils savent qu’ils ne le sont pas. Et qu’ils ne le seront jamais.