International
Commentaire

Pourquoi nous devons à nouveau nous inquiéter du fascisme

Navy school cadets attend celebrations marking 318th anniversary of the city of Kronstadt, outside St. Petersburg, Russia, Saturday, May 21, 2022, with sheets depicting letter Z, which has become a sy ...
Presque comme la croix gammée: le Z russe.image: keystone
Commentaire

Pourquoi nous devons à nouveau nous inquiéter du fascisme

Vladimir Poutine a transformé la Russie en un Etat fasciste. Les Etats-Unis pourraient prendre le même chemin.
26.05.2022, 17:17
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe
Suivez-moi
Plus de «International»

Dans son ouvrage monumental sur l'histoire du 20e siècle, l'historien britannique Ian Kershaw constate qu'il est impossible de définir le fascisme. C'est comme si on essayait de remplir une passoire d'eau.

Le phénomène du fascisme n'a pas d'étiologie claire. Au début du 20e siècle, des penseurs conservateurs comme Oswald Spengler, Gabriele D'Annunzio, Julius Evola et d'autres ont commencé à philosopher sur les éléments d'un éventuel fascisme. Benito Mussolini a réuni ces éléments et a fondé le premier Etat fasciste en Italie. Ce que nous associons aujourd'hui communément au fascisme, c'est Adolf Hitler et les nationaux-socialistes.

FILE - This Oct. 28, 1936 file photo shows Benito Mussolini, second from left, flanked by Nazis officers on the occasion of the celebration of the fourteenth anniversary of Italian Fascism. Not since  ...
Benito Mussolini a perfectionné la symbolique fasciste. image: ap/ap

C'est précisément pour cette raison qu'il a longtemps été mal vu de prononcer le mot «fascisme». Ce terme est rapidement devenu synonyme de l'Holocauste - l'extermination de près de six millions de Juifs. Les milieux juifs s'opposent avec véhémence à de telles comparaisons. Pour eux, elles constituent une minimisation de ce crime contre l'humanité.

L'attitude des Juifs est compréhensible, d'autant plus que la notion de fascisme a été utilisé avec négligence dans l'après-guerre. Dans le sillage de la révolution de 1968, on a commencé à qualifier de «fasciste» - ou du moins de «fascisant» - tout ce qui ne correspondait pas aux nobles idéaux des personnes suivant le mouvement révolutionnaire: l'armée, les enseignants, les curés, etc. Excepté quelques négationnistes de l'Holocauste, le nombre de fascistes était gérable à cette époque.

Aujourd'hui, la situation a changé de manière spectaculaire. La démocratie et l'Etat de droit ne sont plus du tout incontestés. Dans les manifestations complotistes des opposants aux masques et aux vaccins, des traits autoritaires se sont manifestés. Et cela même en Suisse, pays démocratique par excellence. Ailleurs, ce qui était encore impensable il y a peu est en pleine floraison: «Nous devons le dire, la Russie est un pays fasciste», titrait récemment Timothy Snyder dans le New York Times.

Snyder enseigne à l'Université de Yale (USA) et fait partie des historiens les plus en vue du moment. Sa spécialité est l'histoire de l'Europe de l'Est. Dans son ouvrage le plus connu, Bloodlands, il décrit les crimes commis par Staline et Hitler en Ukraine, en Pologne, en Biélorussie et dans les pays baltes. Dans son livre The road to unfreedom, il analyse de manière effrayante comment la Russie est d'abord devenue un Etat mafieux et maintenant fasciste. Snyder révèle également comment les Etats-Unis sous Donald Trump ont évolué dans la même direction.

epa04979863 US historian Timothy Snyder presents his book 'Black Earth: The Holocaust as History and Warning' during a press conference in Frankfurt am Main, Germany, 16 October 2015. EPA/AR ...
Timothy Snyder, historien de Yale.image: epa/dpa

La Russie a, elle aussi, ses personnes mystiques, comme Ivan Ilyine, que l'on peut comparer au mieux à Julius Evola. Il défend une vision du monde que Timothy Snyder qualifie de «totalitarisme chrétien-fasciste», «une invitation à l'adresse de Dieu à revenir sur terre et à aider la Russie à mener l'Histoire à bien». Ilyin est décédé en 1954 à Zollikon, près de Zurich. Vladimir Poutine a fait rapatrier sa dépouille à Moscou en 2015. L'opération a d'ailleurs été financée par l'oligarque Wiktor Wekselberg, qui n'est pas totalement inconnu en Suisse.

L'exemple de Lev Gumiljow, ethnologue et historien décédé en 1992 et fils de la plus célèbre poétesse russe Anna Akhmatova, montre à quel point les personnes mystiques russes peuvent imaginer la supériorité de leur peuple de manière abstraite. Lev Gumiljow était convaincu que le caractère d'une nation est déterminé par des rayons cosmiques, et que c'est parce que les Russes ont été les derniers à bénéficier de cette irradiation qu'ils sont actuellement le peuple le plus fort.

Hitler voulait autrefois construire un empire de 1000 ans. Poutine et les Russes mystiques rêvent aujourd’hui d'une Russie éternelle qui dominerait le monde.

epa09817253 A demonstrator holds a placard depicting a caricature of Russian President Putin as they listen to speeches during a peace rally against Russia's invasion of Ukraine, in Pretoria, Sou ...
En Afrique du Sud, Poutine est comparé à Hitler. image : keystone

«L'histoire ne se répète pas, mais elle rime de temps en temps», a dit Mark Twain. L'invasion de Poutine est un exemple parfait d'une telle rime. Les parallèles avec l'invasion de la Pologne par Hitler en 1939 se font ressentir, et il apparaît désormais que Poutine ne s'en tient pas à un fascisme symbolique. Il a transformé son pays en un «asile de fous», comme l'exprime la journaliste Farida Rustamova dans le New York Times: «Dans un état d'apathie anesthésiée et de mauvaise humeur droguée, la majorité des Russes s'est pliée en silence aux règles de Poutine.»

«L'histoire ne se répète pas, mais elle rime de temps en temps»
Mark Twain

Poutine n'a pas seulement neutralisé les opposants et l'élite, il recourt désormais ouvertement à la symbolique fasciste. Timothy Snyder ajoute:

«Un voyageur du temps des années 30 n'aurait aucun mal à reconnaître le régime de Poutine comme fasciste. Le symbole Z, les rassemblements, la propagande, la guerre comme acte de purification, les fosses communes autour des villes ukrainiennes, tout cela est d'une clarté aveuglante. La guerre contre l'Ukraine n'est pas seulement un retour aux lieux de combat fascistes traditionnels, c'est aussi un retour au langage et aux habitudes fascistes traditionnels.»

La Russie est déjà un Etat fasciste, les Etats-Unis sont peut-être en train d'en prendre le chemin. Cela commence par les énormes différences de richesse. «Les oligarques américains et russes ont bien plus en commun entre eux qu'avec leurs compatriotes», explique Snyder. «Au sommet de la pyramide de la richesse, il y a, comme en Russie, la tentation de poursuivre une politique qui ne souhaite plus de changement.»

Le déclin économique de la classe moyenne américaine a préparé le terrain pour l'ascension de Donald Trump. Entre-temps, l'ex-président a réussi à transformer le Grand old party en un parti autoritaire qui s'éloigne de plus en plus ouvertement des fondements de la démocratie. Dans les primaires qui ont lieu actuellement, des candidats s'imposent chez les Républicains qui n'acceptent pas la défaite de Trump, qui veulent modifier les lois électorales de manière à ce que seuls les Républicains puissent gagner, et qui plaident même pour l'annulation rétroactive de l'élection de Joe Biden.

Entre la Russie et les Etats-Unis, les choses commencent à rimer de plus en plus. Les partisans de QAnon, les nationalistes chrétiens et les suprémacistes blancs gagnent du terrain, les prêcheurs de haine comme Tucker Carlson sur Fox news sont de plus en plus extrêmes: un glissement des Etats-Unis vers un état autoritaire est devenu envisageable. Ce serait pour Vladimir Poutine un triomphe encore plus grand qu'une victoire en Ukraine.

Traduit de l'allemand par Léon Dietrich

Un parachutiste atterrit sur le mauvais toit
Video: watson
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Séisme de magnitude 6,3 ressenti au Japon
S'étendant au-dessus de quatre plaques tectoniques majeures, le Japon est l'un des pays où l'activité sismique est la plus importante, avec autour de 1500 secousses chaque année. Le séisme de ce mercredi a fait plusieurs blessés.

Un séisme d'une magnitude préliminaire de 6,3 est survenu mercredi soir dans le sud-ouest du Japon, a annoncé le service géologique américain (USGS), sans déclencher d'alerte au tsunami. Aucun dégât n'a été signalé. En revanche, huit personnes ont été légèrement blessées, rapportaient ce jeudi les autorités et les médias locaux.

L’article