La Suisse souffre d’une vague de chaleur. Dans les villes bétonnées, la température s’accumule, et les nuits y sont jusqu’à sept degrés plus chaudes que dans les zones rurales environnantes. Allons-nous voir de plus en plus de gens fuir la chaleur et les zones urbaines?
Ana Vicedo: Non, je ne pense pas forcément. Mais il est indéniable qu’il va devenir normal d’enchaîner les vagues de chaleur pendant l’été. C’est pourquoi il faut commencer à réfléchir à des solutions non conventionnelles.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie?
Nous avons besoin de mesures contre la chaleur qui ne provoquent pas d’autres problèmes, comme l’isolement social ou des troubles psychiques.
On a vu pendant la pandémie de Covid à quel point cela pouvait affecter la santé mentale. Ma mère vit en Espagne et traverse cela en ce moment: il y fait plus de 40 degrés depuis plusieurs semaines. Rester enfermé aussi longtemps rend fou!
Que faudrait-il faire différemment?
Il faut d’abord que les villes identifient leurs hotspots, ces endroits où la chaleur est particulièrement intense. Là, il faut remplacer le béton par de la verdure, planter des arbres, créer de l’ombre.
Les personnes âgées, notamment, ont besoin de tels espaces. Elles ne travaillent pas dans des bureaux climatisés et ne vont pas souvent à la piscine, qui reste surtout un loisir familial. Il faut aussi assurer un bon accompagnement: par exemple avec les services de soins à domicile, qui rendent visite aux personnes vulnérables pendant les jours de forte chaleur.
Vous avez publié une étude montrant que les décès dus à la chaleur en Suisse pourraient passer de 300 par an aujourd’hui à environ 1200 si la température mondiale augmente de 2 degrés. Et presque 2000 d’ici 2050 avec une augmentation de 3 degrés. Pourquoi la chaleur est-elle si dangereuse?
Ces chiffres partent de l’hypothèse que les gens ne s’adaptent pas à la chaleur. Or, une certaine capacité d’adaptation semble réaliste.
Premièrement, la population suisse vieillit, et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables. Deuxièmement, le corps humain a ses limites physiologiques. Quand la température corporelle grimpe trop, cela déclenche des processus inflammatoires. Les personnes atteintes de maladies chroniques atteignent alors rapidement leurs limites. Une personne souffrant de troubles cardiovasculaires, par exemple, peut faire un AVC.
Une étude récente parlait de «dépressions estivales» provoquées par la chaleur. Est-ce crédible?
Oui, les effets sur la santé varient fortement d’une personne à l’autre. C’est pourquoi il est essentiel de transmettre les bonnes informations de manière ciblée, via les médecins généralistes, les organisations travaillant au contact des personnes âgées, ou encore les réseaux sociaux. C’est la seule façon de toucher tous les groupes de population.
Selon votre étude, les villes de Bâle, Locarno et Zurich sont particulièrement à risque. Pourquoi celles-là plus que les autres?
Les différences régionales et la complexité de leurs causes m’ont moi-même surprise, je l’avoue. De nombreux facteurs entrent en jeu: la situation géographique, la structure de la population, et même le niveau de pollution de l’air.
C’est pourquoi les mesures doivent être élaborées localement, tout en s’appuyant sur une stratégie nationale.
La Suisse est-elle bien préparée?
Cela dépend beaucoup des cantons. A Genève, dans le canton de Vaud ou au Tessin, la conscience du problème est plus élevée, car les vagues de chaleur y sont plus fréquentes. Mais dans l’ensemble, il y a eu beaucoup de progrès. Je travaille sur ce sujet depuis 15 ans. Et le simple fait que vous m’interrogiez aujourd’hui montre à quel point la perception a évolué.
Selon la Suva, les jours à plus de 30°C enregistrent 7% d’accidents de plus que les autres jours d’été. Faudra-t-il, à l’avenir, accorder des congés pour cause de canicule?
Bien sûr, on ne peut pas arrêter de travailler à chaque épisode caniculaire. Mais les employeurs doivent devenir plus flexibles. La productivité baisse avec la chaleur, de nombreuses études le démontrent.
Et voilà que l’école recommence justement maintenant.
Oui, c’est un peu absurde. En Espagne, la rentrée scolaire se fait en septembre pour éviter les semaines les plus chaudes. En Suisse, elle commence en plein mois d’août.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich