Historique. Dramatiquement historique. On avait même un peu de peine à maintenir le regard sur l’écran, lors de la mise à mort de Volodymyr Zelensky vendredi soir, tant cette scène ahurissante, dérangeante, inédite, tant cette humiliation volontaire et préméditée par Donald Trump et JD Vance n’a jamais eu sa place dans le jeu démocratique moderne.
On n’en croyait pas nos yeux, comme on dit.
Pensant rejoindre Washington pour peaufiner un accord sur les terres rares ukrainiennes, Zelensky est tombé dans une violente embuscade qui a – et c’est plutôt étonnant - surpris tout le monde. En vérité, cette mise à mort publique hantait la géopolitique mondiale depuis de longues semaines.
Certes, les pièces du puzzle MAGA étaient encore dispersées sur la table des négociations, mais la big picture ne pouvait échapper à personne. Donald Trump ne supporte pas l’absence d’allégeance à sa propre personne? What a surprise. Donald Trump en a ras la mèche blonde des milliards de dollars américains qui enjambent l’Atlantique? No shit. Donald Trump voudrait reléguer ce «dictateur qui a démarré la guerre contre le Kremlin» aux marges de l’Histoire? Oh, really?
Le Wall Street Journal a raison: «Poutine a déjà gagné l’affrontement entre Zelensky et les présidents américains.» Oui, les présidents. Car, vendredi, on a découvert, par la même occasion, les coudées franches que Donald Trump compte offrir à son second, JD Vance, ces quatre prochaines années. Et c’est littéralement open bar.
On le sait, le vice-président est l’un des ennemis les plus aiguisés du soutien américain à l’Ukraine, doublé d’un orateur particulièrement vénéneux. Comme avec Elon Musk, Donald Trump adore envoyer ses kamikazes au combat, si c’est en son propre nom. Et Volodymyr Zelensky, hélas, en fera des cauchemars encore longtemps.
Après une bonne nuit de sommeil, il s’agit pourtant de reprendre son sang-froid et de tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé à la Maison-Blanche, vendredi. La rencontre entre l’Amérique bulldozer et un Zelensky affaibli était sans conteste le primetime de la semaine. Les courbettes (fermes et plutôt intelligentes) d’Emmanuel Macron quelques jours plus tôt étaient d’ailleurs censées préparer le terrain (et le mental) de Donald Trump pour ce face-à-face scellé d’avance.
Faut-il le rappeler, Donald Trump a actuellement deux obsessions. La première? Rapatrier Poutine autour du plateau de jeu mondial, quitte à réécrire sans vergogne l’histoire d’une invasion russe qui vient de fêter ses trois ans. Et quitte à paraphraser le maître du Kremlin, en l’embrassant à pleine bouche.
Car, dans l’esprit de Trump, il n’y a que trois acteurs qui méritent de croiser le fer: les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Tout le reste n’étant qu’un vaste brouhaha inutile qu’il s’agit de faire taire, y compris l’Union européenne, qu’il accuse d’exister dans l’unique objectif de nuire à l’Amérique.
La seconde est encore moins surprenante: rien ne comptera plus que le pays qu’il dirige depuis un mois. Dans son Make America Great Again, il y a surtout l’idée d’un Make the rest of the world fear America again. Le monde doit recommencer redouter l’Amérique de Trump. Pour ce faire, tous les coups seront permis et tout le monde doit le savoir. Vendredi, Trump a réussi son coup.
En commandant notre premier café, samedi matin, le serveur nous a attrapés par la manche pour évoquer l’affrontement dans le Bureau ovale: «C’était un putain de moment de télévision, t’as vu?» Dans le mille: un moment de télé. Et le milliardaire MAGA est le spécialiste en la matière. Parfait produit de la télé-réalité, Donald Trump sait quand il faut appuyer sur le frein et faire bander les caméras. A l’instar de son poing levé après avoir réchappé à un assassinat, le président américain a compris, vendredi, qu’il fallait faire du Bureau ovale le ring de sa révolution diplomatique.
Une mise en scène censée rappeler, à ceux qui refusent encore de l’imprimer, que, tant qu’il campera à la Maison-Blanche, les Etats-Unis ne joueront plus au gendarme du monde. Seuls compteront les intérêts de «son» Amérique - et l’Ukraine n’en est pas un.
La diplomatie et ses règles tacites sont une danse qui, d’ordinaire, requiert un certain doigté. Donald Trump, comme promis durant sa campagne, compte bien marcher sur les pieds de quiconque voulant le faire virevolter. «Pose ton genou à terre et sois reconnaissant, sinon je t’écrase comme un petit animal nuisible», qu’il a fait comprendre à Volodymyr Zelensky vendredi.
Pour l’Europe, enfin, cette mise à mort historique dit deux choses: il ne faut définitivement plus compter sur les Etats-Unis pour sauver l’Ukraine, par effet de rebond, il est plus que temps de faire la différence entre déclarer et démontrer. Vendredi, face au pauvre Zelensky, Donald Trump a (notamment) démontré le retour brutal de l’isolationnisme américain.
Bien au-delà des messages de soutien qui ont (logiquement) pullulé sur les réseaux sociaux à la suite du drame du Bureau ovale, Macron, KKS et consorts doivent au plus vite démontrer qu’ils ont les muscles nécessaires pour (re)devenir les artisans de la paix en Ukraine.