«Pyongyang éduque manifestement Kim Ju-Ae en tant qu’héritière, cela indique que c’est la personne la plus susceptible de succéder à Kim Jong Un». C'est un communiqué du Service national du renseignement sud-coréen qui l'a affirmé lundi.
Mais Kim Ju-ae n'existe pas. Enfin, pas tout à fait. Disons surtout qu'on ne sait tellement rien sur cette gamine aux joues du bonheur, que la propagande et les spéculations tournent à plein régime. Celui de Pyongyang, en l'occurrence. Ju-ae aurait entre 10 et 15 ans. Onze peut-être?Même son prénom et son sexe sont à prendre avec des pincettes.
Certes, la fille du dictateur nord-coréen a une page Wikipédia. Mais Guillaume Tell aussi et ça ne lui permet pas pour autant d'être envisagé comme un futur dictateur. Elle serait malgré tout la deuxième enfant du jeune Kim Jong-un. L'«enfant adorée» de son papa chéri. Et, déjà, cette dévotion féminine totale et cruellement classique dans la famille du leader suprême.
Ju-ae, future héritière et ennemie jurée de l'Occident?
Pas si vite!
En février 2023, à l'occasion du 75e anniversaire de la fondation de l'armée nord-coréenne, Kim Jong-un n'a pas seulement affiché ses plus beaux atours militaires. A ses côtés, son épouse Ri Sol-ju. Et cette petite gueule d'ange, adorablement terrifiante. Si la planète s'était affolée, c'est que Ju-ae fut le premier bambin de la famille de Kim à être photographié par les médias d'Etat, en public et au bras de papa.
Personne n'a jamais aperçu ses frères (ou ses sœurs), qu'on dit âgés de 13 et 6 ans.
Cette petiote a explosé aux yeux du monde en trois mois et en trois temps. En novembre 2021, c'est entre les genoux de son père qu'elle parade sur un site de lancement. Et à 9 ans (ou 10, 11, 12), il est plutôt inédit de passer ses dimanches à inspecter des engins militaires. La planète découvre alors Kim Ju-ae, doudoune blanche, queue de cheval, petites ballerines rouges. Elle n'a pas encore officiellement de nom, tout juste un sobriquet de conte de fée: «La fille bien-aimée».
Une collégienne ordinaire embourbée dans une propagande extra ordinaire. Le sourire est de mise, quasi robotique. De ces mimiques dignes de films d'horreur avant le coup de hache.
Ce fameux 18 novembre 2022, le mood visuel des médias d'Etat n'avait pourtant rien à envier au storyboard d'Emily in Paris. Les missiles remplacent (presque trop) naturellement les façades haussmanniennes. Et la douce intimité familiale qu'ils rêvent de nous faire gober en quelques clichés léchés, jure avec l'imposant Hwasong-17 qui bande méchamment en arrière-plan.
Une nouvelle page de la propagande est bel et bien en route. Deux apparitions remarquées en février 2023, une première balade médiatique en novembre 2022. C'est peu. Mais c'est déjà furieusement inédit dans les rouages du régime de Pyongyang. En Corée du Nord, rien n'est dégainé au hasard. Encore moins une branche d'arbre généalogique.
Même si, dans l'ombre du régime, les héritiers ne manquent pas de gravir rapidement les échelons, c'est la première fois qu'une fille en âge de jouer à la corde à sauter est ainsi exposée physiquement. Désigné successeur à l'âge de 8 ans, Kim Jong-un en avait déjà 26 lorsqu'il a été médiatiquement décapsulé par son père, Kim Jong-il.
Ce dernier avait d'ailleurs envoyé ses enfants à l'école en Suisse pendant plusieurs années, sous de faux noms, avant de les faire caresser des têtes nucléaires. Le fait que Kim Jong-un dévoile si tôt le visage de sa «fille adorée» brise sans doute le fantasme d'un cursus scolaire helvétique. Une carrière politique plus précoce encore est même envisagée par les experts.
Le grand-père et le père de Kim Jong-un ont régné jusqu'à la tombe. Le patron actuel n'a que 38 ans. Si Ju-ae ne va pas succéder à son papa demain, elle a tout pour incarner une image moderne, solide et prospère du régime. Officiellement, le leader nord-coréen est censé être élu par le biais d'un congrès du Parti des travailleurs. Mais la famille tire évidemment toutes les ficelles.
C'est donc logiquement que l'Occident voit déjà dans cette petite bouille une véritable graine de dictateur. Ju-ae n'a pas été présentée lors d'un pique-nique dominical, mais immergée dans les armes et les célébrations militaires. En février 2023, le père a annoncé à son peuple que les citoyens portant le même prénom que sa fille chérie devront désormais trouver autre chose. Mardi, plusieurs timbres commémorant le 75e anniversaire de l'armée ont été imprimés. Quatre d'entre eux sont dédiés à la jeune Ju-ae. «Une autre façon de signaler que la dénucléarisation est totalement hors de propos», envisage Mason Richey, professeur à la Hankuk University of Foreign Studies à Séoul.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Kim sont une minutieuse usine familiale à tyrans. Une entreprise autocratique redoutée et redoutable qui adore envoyer des messages l'air de rien, sans avoir à ouvrir la bouche. Au monde entier, comme à son peuple. Rassurer et menacer en un seul cliché est d'ailleurs sa grande spécialité.
Ce n'est pas un secret, Kim Jong-un est fan de missiles, mais aussi de basket-ball. Plus précisément des Chicago Bulls. On chuchote que son baby-sitter de l'époque, le Japonais Kenji Fujimoto, l'a initié aux joies de la NBA. Le dictateur a tout fait pour que Michael Jordan saute dans un avion pour lui rendre visite. Sans succès. En 2013, son rêve se réalise enfin, mais avec Dennis Rodman. L'ex-numéro 91 des Bulls, sorte de Gérard Depardieu du parquet, s'assied sur les liens géopolitiques tendus des deux pays et s'envole pour Pyongyang.
Une relation solide naît rapidement entre le bad boy et le dictateur. Une diplomatie sportive et un brin folklorique. Devant une presse américaine médusée, la star du ballon orange considère même le tyran comme «un ami pour la vie». Au point que Rodman obtient un jour l'autorisation de bercer un nourrisson un peu spécial. Oui, «l'enfant adorée».
Rien n'est jamais laissé au hasard, en Corée du Nord. C'est donc une ex-star du basket américain, aussi légendaire que controversée, qui a obtenu, en 2013, l'étrange feu vert de son «ami pour la vie» pour dévoiler l'existence de la princesse chérie du régime. Qu'importe son nom, son âge et son sexe. Cette créature, protégée comme un diamant rare, restera encore longtemps une véritable machine à spéculations.