C'est pire qu'un cambriolage. Un braquage. Un règlement de compte sans survivant. Cette nuit, Donald Trump a tendu son majeur à ses pires ennemis, en conviant Tucker Carlson dans son golf cossu de Bedminster. Bien sûr, l'entretien a été enregistré la semaine dernière. Pas folles les bestioles. Mais en le diffusant sur X (Twitter, quoi) cinq minutes avant le décollage du débat des républicains à Milwaukee, c'est un immense go fuck yourself qu'ils ont adressé à Fox News.
Histoire de fringuer correctement ce piratage médiatique, l'ancienne star de la chaîne populiste en a profité pour déballer son nouveau logo: «Tucker on X». Un véritable show off précédé d'une bande-annonce, diffusée à minuit zéro-zéro, où l'on comprend que les questions siffleraient comme des balles.
Sur la forme, le timing et la bonne dose de testostérone hollywoodienne, impossible de ne pas applaudir le déploiement. On n'est pas loin d'un remake d'Ocean Eleven fomenté par les Clooney-Pitt du bullshit.
Il est 2h55 en Suisse. Surprise, le réseau social d'Elon Musk plie, mais ne rompt pas. Il a pourtant suffi d'une poignée de minutes spour que l'interview la plus culottée de l'été dépasse les 30 millions de spectateurs. La mise en scène est sport chic: une cheminée, un rondin décoratif, une table basse sans personnalité, un drapeau américain et quatre cuisses de conservateurs en équerre.
Si Tucker et Trump savent qu'ils sont en train de braquer main dans la main le casino politique de l'année, chacun possède son propre GPS. Le premier rêve d'écraser Fox News au jeu des audiences, le deuxième doit faire oublier les candidats qui débattent, simultanément et sans lui.
Sur la chaîne des passionnés de flingues, et devant un public trié sur le volet, les journalistes Martha MacCallum et Bret Baier tiennent huit candidats en joue. Sept hommes, une femme. (Nous sommes bien chez les républicains.)
Parmi eux, deux traîtres de Trump, l'ennemi de Mickey, un jeune homme d'affaires qui doute du 11-Septembre, un sénateur évangélique et une ancienne ambassadrice aux Nations Unies allergique aux femmes trans. Huit poneys dont les scores cumulés n'atteignent même pas celui du dangereux pur-sang, dans les derniers sondages.
La feuille de match fait pâle figure.
On rigole, mais l'heure est grave. Les outsiders ne font pas (encore) le poids et le grand favori risque de finir sa vie en taule pour avoir voulu violer la machine démocratique. Le Grand Old Party est aux fraises et, au milieu du bourbier, les électeurs républicains sont censés commencer à faire leurs courses, dans une ambiance de solde chez Primark ou de sortie d'un nouvel iPhone.
D'autant qu'il faut loucher sur les deux canaux pour avoir la big picture de cette nuit plutôt inédite. Comme Marjorie Taylor Greene, présente dans le public à Milwaukee, mais focalisée sur l'interview de son chouchou, Donald.
I’m sitting directly behind @RepMTG at the GOP presidential debate and her attention appears to be at least…. divided. pic.twitter.com/KYdJQkBJPx
— Glenn Greenwald (@ggreenwald) August 24, 2023
A la télévision, on a droit à des invectives en pagailles et des packages «mieux ou pire que Trump» (sans jamais le nommer pendant la première heure de débat). Alors que chez Tucker, c'est Make myself great again.
Tout le monde s'attendait à voir Ron DeSantis criblé de balles en raison de sa deuxième place dans les sondages. Mais le gouverneur de Floride sera violemment ignoré par ses adversaires. Pourtant au centre du boomerang de pupitres, il n'en profitera même pas pour écarter les coudes et donner des coups. Alors qu'il venait de rebooter sa campagne et après avoir viré son coach, l'ennemi de Mickey et du progressisme risque bien de dégringoler dans les jours qui viennent.
Au sujet de la guerre en Ukraine, de l'avortement, de la sécurité, de la drogue ou encore de l'éducation, les mercenaires républicains se sont en revanche acharnés sur le jeune Vivek Ramaswamy. On le savait à l'aise à l'oral, l'homme d'affaires a non seulement confirmé son talent pour la joute, mais redoublé de radicalité.
Aider financièrement Zelensky? C'est non. Le réchauffement climatique? Un «canular». Ramaswamy veut carrément fermer le ministère de l'Éducation et «donner son financement directement aux parents». Un petit crâneur à dents blanches qui a agacé les puristes autour de lui. Chris Christie, furax durant tout le débat, traitera Vivek de «candidat ChatGPT» et de «pâle copie de Barack Obama». Sur cette dernière gifle, l'ex-gouverneur du New Jersey n'avait pas complètement tort, puisqu'il s'est approprié une réplique culte de l'ex-président, au moment de se présenter:
Dans un débat, si l'on veut repérer le candidat à abattre, il faut toujours s'attarder sur celui qui ramasse les flèches empoisonnées. Et Vivek Ramaswamy s'en est pris plein la tronche. Il faut aussi dire qu'il l'a bien cherché. Bien avant de déballer les sujets qui fâchent, le riche entrepreneur a taclé toute l'assemblée en se vantant d'être «la seule personne sur scène qui n'est ni achetée ni payée». Vivek n'est pas un politicien (comme Trump ne l'était pas en 2016) et il compte bien en jouer. Pour rallier les républicains fatigués de l'establishment et grappiller quelques voix dans le chaudron MAGA.
Personne n'était véritablement à l'aise et principalement parce qu'il fallait composer avec un «éléphant qui n’est pas dans la pièce», comme le surnommera l'un des deux modérateurs, Bret Beier. Il paraît d'ailleurs que les huiles de Fox News étaient «paniquées». Qu'elles «ont tout essayé» pour que Donald Trump soit du voyage à Milwaukee. Afin d'éviter une cuisante humiliation et pour faire oublier qu'elle n'a pas réussi à apprivoiser l'indocile, la chaîne a bien sûr bricolé un plan B qui ne surprendra personne: diffuser des extraits de ses déclarations et lui lancer deux ou trois vannes. Chose surprenante: il faudra attendre une heure et quinze minutes pour avoir droit à une pique totalement loufoque:
En vérité, le contenu de l'interview réalisée avec Tucker Carlson, qui atteindra les 100 millions de vues (!) au petit matin, importe peu. Car c'est son absence à Milwaukee qui lui sera profitable. Alors qu'il ne reste qu'une demi-heure avant la fin des hostilités, la question centrale (et absolument piège) a enfin été dégoupillée.
During the first Republican primary debate, candidates were asked to raise their hands if they would still support Donald Trump as the party nominee if he were convicted. https://t.co/MB5UW7uBr6 pic.twitter.com/BTZ7pvnxX1
— The New York Times (@nytimes) August 24, 2023
Quasi tous lèveront la main. Vivek Ramaswamy le premier, lui qui a fait du soutien à Donald Trump un argument de campagne qui a toutes les chances de porter ses fruits. Evidemment, ses huit rivaux sont dans une impasse: comment s'acharner sur lui sans froisser sa large base de partisans? Tant que les huiles du parti ne prendront pas une décision courageuse, les républicains sont cuits. Et le milliardaire bardé d'inculpations continuera de se pavaner au sommet des sondages.
Cette nuit, il n'y avait pas (encore) de président des Etats-Unis sur la scène de Milwaukee. Mais un vainqueur: Vivek Ramaswamy. Aussi dangereux que dangereusement prometteur et focalisé sur les préoccupations des électeurs conservateurs, il est le seul candidat, pour l'heure, à pouvoir espérer chatouiller les orteils en titane du 45e président des Etat-Unis.
Jeudi soir, Donald Trump se rendra à Atlanta «avec fierté», pour y être officiellement inculpé. Et les Etats-Unis vont sans doute vivre un (énième) moment historique: la photo d'identification judiciaire d'un ancien président.