Ils sont plusieurs milliers derrière Donald Trump, cinq devant la justice. Accusés de révolte concertée contre l'autorité établie, ces «Fiers Garçons» risquent 20 ans de taule pour avoir infesté le Capitole, sans invitation mais avec préméditation, le 6 janvier 2021. Dans des images inédites dévoilées jeudi, on découvre une partie de la meute, 300 bonhommes cuirassés, tatoués, gonflés à bloc, la veille de la célèbre ruée antidémocratique.
Les «Proud Boys»? La rencontre impulsive entre une testostérone blessée, un épiderme monochrome et une sérieuse passion pour la baston, comme d'autres peuvent craquer pour un burger, un match de base-ball ou un épisode de South Park. Une sorte de violon d'Ingres pour violents dingues. Pour eux, le bien et le mâle, c'est kifkif. Gloire à l'homme et tant pis s'il faut, pour ça, se contenter de bomber des torses gondolés par le bourbon frelaté et la sauce BBQ. Dans leurs fantasmes les plus bruyamment avoués, Donald Trump est au pouvoir, la femme au foyer et la gauche aux chiottes.
En 2020, on dénombrait 119 factions éparpillées (et actives) dans 46 Etats des Etats-Unis. Mais on en trouve aussi quelques grappes au Canada, en Allemagne, en Norvège, en Australie ou aux Philippines. Pour entrer dans ce cercle très fermé des férus de plaies ouvertes, il faut montrer peau blanche et être capable (entre autres) de réciter cinq marques de boîtes de céréales tandis qu'un cadre du mouvement vous défonce la gueule. Ça ressemble un peu à «Je te tiens, tu me tiens», mais par les coucougnettes. Un rite initiatique censé prouver au monde que vous en avez dans le slibard. Et, comme souvent avec les milices, l'allégeance a plus de poids que l'intelligence au moment de tendre son CV (et l'autre joue).
On rigole un peu, mais les «Proud Boys» sont des êtres particulièrement infréquentables. Si ces garçons défendent aussi farouchement leur propre définition du pays de l'Oncle Sam, c'est qu'ils ont le seum. Peu surprenant quand on s'avoue obsédé par sa supériorité, saoulé par Black Lives Matter et convaincu par la prévalence des «valeurs occidentales». D'autant que, manifestement, pour pérenniser leur espèce, c'est une grande tasse de sang qu'ils s'envoient au breakfast.
S'ils vouent un culte sans borne à Donald Trump, l'un des grands défis du procès du Capitole, c'est de parvenir à prouver l'inverse. Démontrer minutieusement que le républicain milliardaire a suffisamment fricoté avec le gang pour qu'il soit rendu responsable de l'invasion. L'ancien président des Etats-Unis avait d'ailleurs jeté un bidon d'huile sur le feu en lâchant un «Proud Boys, stand back and stand by» («Proud Boys, reculez et soyez prêts»), lors du débat présidentiel face à Joe Biden, en 2020. Pour ensuite faire machine-arrière.
Rappelons au passage que si Trump est bien conscient que son pays n'est pas celui de Candy, les violences qui le lacèrent seraient plus volontiers du fait de l'extrême gauche que de l'extrême droite. Les «Proud Boys», eux, sont évidemment convaincus que l'élection leur a été volée et que la victoire de papy Biden est une «déclaration de guerre».
Mais comment un jeune gars qui brunchait sur les trottoirs bien fréquentés de Williamsburg a pu fonder un gang dans lequel la violence se dévoile aussi acide que le pickle de son cheeseburger? Parce que Gavin McInnes n'a pas toujours été épinglé comme le géniteur des redoutés «Proud Boys». Il a même accouché, en 1994, de Vice, considéré à l'époque comme le média le plus cool de la planète, à la provoc' faconde et destiné aux ados en mal de dévergondage sous-vide. Sous ses ordres, Vice parvenait souvent à réunir prostituées, coke, flingues, recettes de cuisine, magie noire, politique et progressisme dans un seul article.
Comme son site, Gavin McInnes, à qui on attribue l'origine du mouvement hipster, a passé sa vie à brouiller les pistes, choquer le prude et troller le démocrate. Une passion pour la contre-culture effrontée qui l'a mené peu à peu à kiffer ouvertement les républicains, militer pour le contrôle des frontières, ridiculiser le féminisme et réunir quelques «Fiers Garçons» en 2016.
Au début, un simple groupe de mecs, effrayés par les femmes, considérant qu'il faut désormais chercher le punk sous le tapis de l'alt-right, cette nouvelle droite pro-Trump qui jure sur la tête des mâles blancs que l’antiracisme et le politiquement correct gangrènent les Etats-Unis. Mais des premiers boyscouts, trolls de droite et misogynes en polo Fred Perry jaune et noir, aux criminels s'affichant avec des néo-nazis, violentant les militants de gauche à coup de barres de fer, critiquant l'Islam dès qu'un micro est ouvert et s'infiltrant comme des bourrins dans le Capitole, la glissade est digne d'une piste noire.
Selon le rapport interne de la police du comté de Clark se référant au FBI, la milice «a contribué à l'escalade récente de la violence lors de rassemblements politiques organisés sur les campus universitaires et dans des villes comme Charlottesville, Virginie, Portland, Oregon et Seattle, Washington». Rien que ça.
Certes, le provocateur Gavin McInnes a quitté le mouvement en 2018, mais les 119 factions des Etat-Unis ont aujourd'hui un chef un poil moins hipster et moins rigolo: Donald Trump. Et une base d'adeptes qui semblent n'avoir jamais tutoyé le deuxième degré brandi initialement par Mister Vice, faux garnement à l'humour noir, mais vrai suprémaciste blanc. Qui, aujourd'hui, dans un podcast, tient le crachoir des ultra-conservateurs abonnés aux plateaux de Fox News.
La frustration et l'impression de persécution qui enflent dans les testicules d'une certaine frange de mâles américains se retrouvent aujourd'hui gravées dans les statuts de la nouvelle génération de «Proud Boys». Celle qui risque précisément 20 ans de prison pour sédition. Du coup de bluff au coup d'Etat, c'est là qu'il faudra être un homme, un vrai.
Car la justice américaine a tout pour transformer bientôt ce fight club en un club en faillite.