L'esprit de loyauté n'empêche pas le petit coup de règle sur les doigts quand le chef fait une bêtise. Il faut en revanche une bonne dose d'assurance, pour ne pas finir au chômage. On raconte que Chris LaCivita a enguirlandé Donald Trump quand il s'était rué sur Nikki Haley avec des arguments aussi agressifs que racistes. Prudent, le principal intéressé minimise soigneusement le pouvoir qu'on lui prête depuis qu'il dirige la campagne du candidat le plus controversé de l'Histoire.
Certes, notre homme n'est pas président, mais une telle mise au point trahit l'influence grandissante de cet ancien marine, blessé et décoré durant la guerre du Golfe, dans l'entourage du 45e président.
Depuis la récente démission de la cheffe du parti républicain, LaCivita est pressenti pour reprendre, non pas la tête du parti, mais la direction des opérations durant ce délicat remaniement. Pourtant, dès qu'il ouvre la bouche, on peine à croire qu'il s'exprime au nom de celui qui éructe, postillonne, insulte et menace all day long. Le programme de Donald Trump? «Il s'articule autour de l'inflation, mais également autour de la position des Etats-Unis dans leur ensemble, notamment sur la scène internationale. Il s'agit d'arrêter les guerres sans fin et d'éviter la Troisième Guerre mondiale», répondra-t-il à un journaliste du New York Magazine.
Une ambiance sujet-verbe-complément qui détonne, mais qu'on se rassure, le chien de garde du candidat MAGA n'est pas un Teletubbie. En off, c'est lui qui arme la bonne vanne à offrir à Trump, pour terrasser son adversaire. Il y a quelques jours à peine, le stratège de 57 ans s'en est pris personnellement à Ron DeSantis, gouverneur de Floride et concurrent malheureux dans la course à la Maison-Blanche.
Et pour éviter qu'on le prenne pour une chaussette qui sort du lave-linge, il ponctuera sa fronde sucrée d'une photo du célèbre mafieux hollywoodien Tony Soprano, qui se passe d'explication.
you know …. https://t.co/AX5JAgThgA
— Chris LaCivita (@LaCivitaC) February 22, 2024
Christopher Joseph LaCivita, aux origines italiennes par son père et irlandaises par la maman, fait partie d'une petite garde rapprochée, en rangs serrés derrière Donald Trump. Tellement serrés qu'on ne les voit pas. Le gourou est d'ailleurs persuadé qu'ils «ne veulent pas parler, pas être sur les photos, juste faire leur travail et rendre sa grandeur à l'Amérique, n'est-ce pas?» LaCivita et sa puissante collègue Susie Wiles ont été brièvement dévoilés en Iowa, sur scène à mi-janvier, lorsque Trump a fêté sa première victoire tonitruante. Avant de devoir laisser leur place aux deux fils du milliardaire, au moment du discours officiel.
Quelques secondes de gloire et c'est déjà l'heure de s'engouffrer dans les voitures. Et dans l'ombre. Le patron, c'est Trump. «Il n'y a aucune confusion quant à la chaîne de commandement. Il est au sommet», récitera poliment le Soprano républicain à Reuters.
Une discrétion publique qui n'empêche pas les observateurs de louer les efforts du binôme.
Susie Wiles, calme, mutique et intraitable, a travaillé aux côtés de Reagan avant d'aider Ron DeSantis à devenir gouverneur de Floride en 2018. Vous vous doutez bien qu'une fois la hache déterrée, Susie s'appuiera sur les faiblesses du pauvre candidat à la présidence pour offrir à Trump de quoi l'atomiser, dès le début de la primaire. Chris LaCivita, lui, est plus bavard, moins prévisible, mais jugé tout aussi stable et efficace.
Le voilà surtout bientôt chargé de transformer le QG du parti en une vulgaire arrière-salle de l'empire Trump. En hissant Lara Trump au rang de vice-présidente du Comité national républicain et en s'accaparant son coffre-fort.
Car sa première mission sera de piloter le financement de la campagne du patron. On parle d'un milliard de dollars supplémentaires pour permettre de catapulter Trump dans le Bureau ovale. Et les murs tremblent: LaCivita n'est pas encore en poste qu'on l'accuse déjà de vouloir payer les imposants frais judiciaires du candidat avec les deniers du GOP.
De son propre aveu, Chris LaCivita est «en guerre». Alors qu'un puissant donateur considère que son approche politique est «celle d'un marine au combat», d'anciens collègues le comparent à un «méchant bouledogue», avec qui il «est facile de travailler» pour autant que «vous ne fassiez pas de conneries». Un type malin qui a «beaucoup d'idées», mais qui hurlera en découvrant le prix des chapeaux brodés des bénévoles, «qui nous ont coûté une putain de fortune». Pour Mo Elleithee, son ami démocrate de longue date et patron de l'Institut de politique de l'Université de Georgetown, «c'est un bagarreur et un stratège qui comprend ce qui émeut les électeurs. Pourtant, il ne donne aucun coup de poing».
Pour bien cerner le «bouledogue» de Donald Trump, qui est d'ailleurs marié et papa de deux enfants, il faut rembobiner vingt ans en arrière. En 2004, les démocrates comptent beaucoup sur le passé militaire de leur candidat John Kerry. Trois ans après le 11-Septembre, présenter un vénérable vétéran décoré de la guerre du Vietnam, ça en jette.
Surtout face à un George W. Bush qui avait tout fait pour ne jamais enfiler le moindre treillis. Hélas, un puissant vent contraire viendra souffler toutes ses chances de briguer Washington. Dans des publicités qui feront scandales, des anciens combattants mettront en doute les prouesses du démocrate au Vietnam, jusqu'à l'accuser de mentir sur ses blessures de guerre. Si le candidat ne s'en relèvera pas, on apprendra plus tard que Chris LaCivita était derrière cette nauséabonde campagne baptisée «Boat Veterans for Truth Campaign».
Engagé pour donner un peu «de discipline» à la campagne de Donald Trump, le «bouledogue» ne reculera donc devant rien pour le faire gagner le 5 novembre. «Il est à fond» et «on sait ce que ça veut dire», glissera un collaborateur anonyme au New York Magazine. Suffisamment à fond pour lui faire enjamber les mines judiciaires qui l'attendent avant l'éventuelle Maison-Blanche?