Le président Trump sera au cœur de l'attention mondiale lors de son investiture, ce lundi. Y a-t-il un risque élevé de tentative d'assassinat?
Gilles Furigo: Il faut savoir qu'il y en a toujours, même quand les différents services de protection et de sécurité font très bien leur travail. Dès qu'un président met le nez dehors, il prend un risque et il le sait. Etant un personnage particulièrement clivant, Donald Trump est sans doute plus exposé que d'autres. Sans compter qu'aujourd'hui, la menace est beaucoup plus diffuse et omniprésente qu'il y a 20 ans.
Le danger est donc plus grand avec Donald Trump sur une estrade qu'avec un Joe Biden?
De toute évidence, oui. Mais pour cette cérémonie pourtant très codifiée et qui revient tous les quatre ans, les choses ne se déroulent jamais exactement comme on l'espère ou redoute.
Sans oublier que l’environnement politique et social a le temps d’être bouleversé d'une investiture à l'autre...
Exactement. En janvier 2020, Covid-19 oblige, il n'y avait pas d'invités. Alors que, cette fois, il en est attendu près de 200 000, sans oublier les centaines de milliers de spectateurs. En 2021, la cérémonie d'investiture s'était déroulée moins de deux semaines après l'assaut du Capitole. C'est la raison pour laquelle les services de protection doivent faire preuve d'humilité: si l'expérience est un atout, il n'y aura jamais de formule magique pour protéger un chef d'Etat.
La cérémonie de lundi est particulière, elle aussi. Après deux tentatives d'assassinat contre Donald Trump, l'attentat en Louisiane et les tensions que son élection a suscitées, le Secret Service doit se sentir surveillé...
Disons-le franchement, ils n'auront pas le droit à l'erreur. D’autant qu'il est assez rare de pouvoir les observer à l'œuvre en direct.
Et les agents de protection se sont retrouvés soudain au cœur de l'action, surtout quand Trump s'est débattu avec vigueur pour lever son poing en l'air.
Une scène pareille, avec un président qui veut s'extirper de ses propres gorilles, c'est un catastrophe pour le Secret Service, non?
Absolument. La logique voudrait, quand on vous tire dessus, que vous vous mettiez immédiatement à l'abri. Qu'un président se retrouve, en quelques secondes, à nouveau à la merci d'un potentiel coup de feu, c'est un véritable casse-tête pour les agents.
En début de semaine, les différents responsables de la sécurité ont affirmé que l'investiture se déroulera dans «un environnement à haut risque», mais sans «menace spécifique». Ce qu'ils redoutent le plus, c'est le «loup solitaire». Vous confirmez?
Sans acte préparatoire majeur, ces individus sont très difficiles à neutraliser. Quand un acte est précédé d’un plan élaboré à l'avance, les services de renseignements ont la possibilité d'intercepter des échanges et d'intervenir en amont.
Vous-même, avez-vous été entraîné à détecter ces loups solitaires dans une foule?
Il n'y a pas de formation spécifique. Et ça peut paraître curieux, mais, face à une foule, vous voyez tout de suite la personne qui envisage de commettre quelque chose.
Comment ça?
N'étant pas des professionnels, ces loups solitaires ont un regard et une attitude très bavards. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les agents du Secret Service n'ôtent jamais leurs lunettes de soleil. Ce n'est pas seulement pour jouer à Men in Black, mais pour balayer la foule discrètement. C'est une partie importante de leur travail.
Ça vous est déjà arrivé de repérer des individus suspects?
Oui! En 1996, lors de la visite de Jean-Paul II à Sainte-Anne-d’Auray, en Bretagne, j'avais repéré quatre gars, parmi plus de 100 000 personnes, qui s'apprêtaient à balancer quelque chose sur le pape. Ils avaient une manière très particulière de regarder frénétiquement autour d'eux, alors que la foule était hypnotisée par Jean-Paul II, comme un seul homme. Les agents avaient pu les interpeller à temps.
On imagine bien que, lors d'un événement tel que l'investiture d'un président américain, Washington devient un véritable bunker.
Bien sûr. Mais jamais un chef d'Etat n'arrive sur un site, quel qu'il soit, sans qu'il ait été préparé et passé au peigne fin. Pour ce qui est de l'investiture, il y aura des structures temporaires qui seront montées et un périmètre va être déterminé. Personne n'entre sans être soigneusement contrôlé et passé au fichier.
Qui dirige les opérations?
Lundi, plusieurs services seront d'ailleurs chargé de la même mission, ça va de la police de Washington à l'armée. C'est le département de la Sécurité intérieure qui désigne le Secret Service comme l'agence qui prendra la direction des opérations.
Quelle est la plus grande menace sécuritaire lors de l'investiture d'un président, en 2025?
Aujourd'hui, je dirais les drones.
Le moindre objet volant sera systématiquement abattu?
C'est un peu plus compliqué que ça. Il faut déjà savoir à quel type de drones on a affaire. Et descendre un objet qui plane au-dessus de 200 000 personnes, s'il est chargé d'explosif, c'est aussi le risque de blesser ou de tuer plusieurs personnalités de premier plan.
Moi qui regarde beaucoup (trop) de fictions américaines, je pense tout de suite à un employé de chantier qu'on aurait soudoyé pour déjouer la sécurité...
Et vous avez raison. Lors d'une telle cérémonie, ce n'est pas parce que tout a été anticipé et que le Secret Service maîtrise sa mission qu'une faille, même improbable, ne viendra ruiner les différents dispositifs de sécurité. Quand il n'y a pas de menace connue, la vigilance est d'autant plus importante.
Et c'est là que le service de protection rapprochée entre en jeu, comme une sorte de dernier rempart prêt à détecter une faille dans les différentes couches du dispositif de sécurité. Et je peux vous dire qu'il y a toujours une faille, à un moment donné.
Les individus qui voudraient tenter quelque chose auraient donc tout intérêt à viser des moments moins officiels, comme lors de la deuxième tentative d'assassinat de Trump, sur son golf de West Palm Beach?
Oui et non. Il faut aussi rappeler que Donald Trump n'était pas encore président à l'époque et que sa garde rapprochée était donc moins fournie. Mais je pourrais totalement renverser votre postulat en disant qu'une investiture est tellement officielle et sécurisée, que personne ne pourrait s'attendre à une tentative d'assassinat ou à un attentat.
D'accord, mais le loup solitaire peu entraîné n’aura quasiment aucune chance de parvenir à ses fins!
L'individu isolé aurait du pain sur la planche, c'est certain. Mais imaginons qu'une force étrangère veuille tenter quelque chose, là, c'est une autre histoire. Le loup solitaire aura souvent envie de survivre à son acte, ce qui complique passablement sa mission. Quand il s'agit d'un attentat-suicide, c'est beaucoup plus sensible pour les services de protection.
Les gorilles d'un président doivent-ils entretenir une relation très étroite avec lui pour bien le protéger?
Oui. C'est avant tout un rapport humain et un rapport de confiance. Prenez la tentative d'assassinat de Butler, en juillet dernier, quand Donald Trump s’est débattu pour ne pas être évacué immédiatement. Ses gorilles l’ont laissé faire et se sont adaptés à sa réaction, sachant qu'il fonctionne ainsi. D'ordinaire, ils ont l'ordre de l'enfourner dans le véhicule, de force.
Comment fait-on pour être certain que le mariage entre le protégé et le protecteur se déroule à merveille?
On n'en est jamais certain. Et parfois, la mauvaise entente est simplement cocasse. Je me souviens d'une anecdote du début des années 2000, avec une ministre du Commerce extérieur totalement inconnue. Puisque c'était une femme, nous avions jugé opportun de lui affecter une agente.
Mauvaise pioche?
Une erreur sur toute la ligne! Au bout de trois semaines, son chef de cabinet m'a appelé pour me dire qu'il y a un problème. Alors que j'imaginais que l'agente avait mal agi, il se trouve que la ministre n’était tellement pas connue, que les caméras de télévision cadraient systématiquement l’officier de sécurité.
Ce qui n’est pas le cas de Trump! En Amérique, les agents du Secret Service ont-ils la mission, contractuellement, de prendre une balle à sa place?
Contractuellement, je ne sais pas. Mais c'est dans la formation. Les agents doivent protéger le président au péril de leur propre vie. C'est pour cette raison que le courant doit bien passer entre les deux. Si vous trouvez que vous bossez pour un sale con, vous n'aurez peut-être pas envie de mourir pour ses beaux yeux.
Et puis, en règle générale, le président est tenu d'obéir aux agents qui assurent sa protection, non?
Aux Etats-Unis, oui. Une fois élu, le président s'engage à obéir à toutes les instructions du Secret Service. Si bien qu'une fois en déplacement à l'étranger, en France par exemple, tout et tout le monde est sous la responsabilité du Secret Service. Y compris les véhicules. Non seulement les éventuels bateaux ou hélicoptères fournis par l'agence, mais le président a l'interdiction de grimper dans une voiture française qui n'a pas été dépêché par le Secret Service.
Qui sont les présidents les plus obéissants? Les démocrates ou les républicains?
Ah, ah! Lorsqu’il était de passage en France, à Lyon. En arrivant en cortège sur la place des Terreaux, le Secret service avait prévu une procédure de sortie du véhicule au plus proche de l’entrée de la mairie. Clinton a rétorqué: «Vu que tous les chefs d’État descendent au bout du tapis rouge, je descendrai au bout du tapis rouge!»
A qui la faute, si un incident était survenu en France, ce jour-là?
La France, étant donné que l'on était en France. Même si les Américains pourraient choisir de désigner un responsable en interne.
A vous écouter, les Américains sont des emmerdeurs une fois en voyage à l'étranger!
Vous seriez surpris! Dans le classement des délégations les plus enquiquineuses, même si les Américains sont bien placés, les Français sont sûrement sur le podium. Je n'aurais pas voulu accueillir, en tant que service de sécurité étranger, un chef d'Etat français...
Pourquoi cela?
J'étais par exemple responsable du dispositif de sécurité lors du sommet du G8, à Evian en 2003, donc j'ai souvent eu accès aux exigences des différents chefs d'Etat. J'avais de quoi comparer avec les nôtres, parfois un peu farfelues, lorsque nous voyagions aux Etats-Unis.
A quoi ressemblent les exigences américaines?
Le problème de la sécurité américaine, c'est sa tendance à tout réduire à une check-list. Toujours à Evian, en 2003, je me souviens qu'on ne pouvait pas passer au point suivant si le problème précédent n'était pas totalement réglé. Et le danger d'une check-list, c'est cette tentation de s'y fier aveuglément. Si bien qu'à un moment donné, le Secret Service a eu une grosse surprise: «Bon sang, il y a une pièce d'eau!»
Une pièce d'eau?
Le Léman.
Ah! Ils ont découvert sur le moment l'existence du Léman?
Oui. Ils ont donc fait venir en urgence deux bateaux des Etats-Unis, plus un navire de la base aérienne de Ramstein. Trois embarcations pour que George W. Bush puisse être évacué... au cas où. Ils étaient totalement paniqués.
Vous-même, vous avez été au service de la protection de trois présidents français. Mitterrand, Chirac et Sarkozy. Qui était le plus compliqué à protéger?
Oh, Jacques Chirac, je pense. Quand on a tenté de l'assassiner en 2002, lors de la parade militaire du 14 juillet, il y a eu une prise de conscience du président et de sa famille, que les risques étaient réels.
Lorsqu'on parle du Secret Service, c'est toujours pour des incidents et des risques graves. Mais, un président qui se prend un œuf sur la tronche, c'est aussi un échec cuisant de la protection rapprochée?
Tout à fait et ça arrive un peu trop souvent, je trouve. La personne n'est peut-être pas en danger de mort, mais c'est son image qui est en jeu. En cela, c'est toujours la faute du service de protection et ces incidents sont rageants pour des agents.
C'est quoi la qualité primordiale pour faire un bon agent de protection de personnalités?
Je dis toujours que l'une des qualités importantes, c'est l'amnésie. La discrétion est capitale lorsque vous passez vos journées avec un président.
Pas moyen de raconter sa journée à sa moitié!
C'est ça! Pour ma part, j'ai toujours évité les indiscrétions, ça fait partie du métier.
C'est d'ailleurs un métier très dangereux et difficile. Il faut être un peu fou pour vouloir prendre une balle pour quelqu'un d'autre, non?
Disons que, pour faire ce travail, il faut partir du principe que l'on va être compétent et que ça n'arrivera jamais.