Un président américain en exercice peut-il être traîné en justice? Oui, la question se pose encore, malgré les apparences et les nombreux épisodes judiciaires qui ont déjà noirci les pages des journaux. Et elle se posait, hier, à Washington, où une cour d’appel fédérale devait examiner la demande d’immunité pénale de Donald Trump, cinq mois après avoir été mis en accusation pour «tentatives présumées illicites d’inverser le résultat de l’élection de 2020».
Mardi, 9h30 pétantes, sous la pluie grise de la capitale des Etats-Unis, un cirque que l'on connaît déjà trop bien. Un cortège de voitures noires, escorté par une dizaine de voitures de police, direction le tribunal. Dans le SUV principal, l'accusé Trump. Le milliardaire a juste eu le temps de troquer son costume de candidat, alors en campagne dans l'Iowa, pour assister à la plaidoirie de sa meute d'avocats. C'est dire si l'enjeu est immense.
Pour eux, pas question de couper les cheveux (blonds) de leur patron en quatre: l'heure est à «l'immunité totale». La défense s'appuie notamment sur une jurisprudence des années 1980, lorsque l'on cherchait des poux similaires au président Nixon. Lundi, Trump avait d'ailleurs montré la voie:
Si le moment est historique (comme à chaque étape de cette épopée judiciaire), il est surtout déterminant. Alors qu'il a toujours plaidé son innocence, Trump brandit l'immunité avec la même fermeté qu'un coupable rêvant de passer entre les mailles du filet. Aberrant? Loin de là. Mais c'est plutôt cocasse, sachant qu'en 2021, au moment de sa procédure en destitution, il clamait devant le Congrès qu'un président devrait être jugé non pas par des députés du Capitole, mais par… la justice américaine. Oups.
On rappellera tout de même que le Sénat avait fini par acquitter Donald Trump pour ses actions présumées et liées à l'assaut du Capitole. Mais en avait-il véritablement le pouvoir, sachant que la Constitution prévoit (trop) vaguement que, même si Trump n'a pas été destitué, il reste «néanmoins responsable et sujet à accusation, procès, jugement et condamnation suivant le droit commun»? Pour ses avocats, s'appuyant fortement sur les textes de loi, il est hors de question qu'il soit «jugé deux fois».
La juge Tanya Chutkan, bête noire du 45e président, avait déjà rejeté sa requête en immunité, au début du mois de décembre. Mais en faisant appel, son équipe de défense sait très bien ce qu'il mijote. Ce recours a violemment suspendu la procédure, faisant gagner une première bataille à Trump, dans cette guerre du temps qui file décidément très vite. De quoi dérégler dangereusement l'agenda des tribunaux, qui prévoient toujours de décapsuler son procès le 4 mars.
Théoriquement (mais c'est hautement improbable), il est encore possible qu'une cour statue que Donald Trump bénéficiait effectivement d'une immunité totale. Cette éventualité fait paniquer une bonne partie du pays, car cela reviendrait à libérer l'accusé le plus scruté de l'année, de (presque) toutes les charges qui pèsent contre lui.
Et cette cour pourrait bien être la plus haute, la suprême. Même si ses neuf juges (à majorité républicaine) avaient sèchement refusé la requête urgente du procureur spécial Jack Smith, sur la même question. Si Trump trébuche à l'issue de la procédure d'appel démarrée ce mardi, il ira pour sûr toquer au sommet de la justice.
La Cour suprême est bel et bien au cœur de la campagne présidentielle et Trump compte bien épuiser ses neuf juges. Rien que dans la course à son inéligibilité, le candidat a déjà mis deux fois les pieds au mur. Après avoir fait appel, la semaine dernière, contre la décision de l'Etat du Maine de l'exclure des listes de la primaire républicaine pour «insurrection», ses avocats ont demandé à la plus haute juridiction américaine de se prononcer sur la même décision, prise par l'Etat du Colorado. De quoi donner le tournis à tout le monde.
Cette fois, c'est sûr, l'obsession de Trump a démarré. L'appel est (et sera) l'une de ses armes les plus dévastatrices. Et, comme on le martèle depuis quelques mois, les tribunaux sont devenus le ring politique le plus solide pour le candidat républicain, qui trône toujours largement en tête des sondages. Si la justice se montre trop sévère avec Trump, la menace de violences chez ses partisans est immense. S'il n'est pas définitivement disqualifié, ce sont les démocrates qui vont imploser.
Mardi, Washington retenait son souffle et, selon les journalistes américains présents dans la salle, l'ambiance fut à couper au couteau. Et si Trump se retrouvait effectivement inattaquable pénalement? «C'est la promesse d'un avenir extraordinairement effrayant», a répété plusieurs fois le représentant du procureur spécial. Histoire de se rassurer, les juges paraissaient «septiques» durant l'audience.
Le verdict ne devrait pas tomber avant la fin du mois, mais le très attendu caucus de l'Iowa démarre le 15 janvier. Comme le dit Daily Beast, «les crises constitutionnelles de Donald Trump sont arrivées». Attention, ça va bouchonner.