Rappelons un fait important: contrairement aux émeutiers du Capitole, contrairement à ce que l'on pourrait croire, contrairement à ce que ses actions laissent à penser, Donald Trump n'a jamais été accusé d'insurrection. Les mots ont un sens. Ce sont eux, entre autres, qui gainent le travail de la justice
On se souvient évidemment des députés de la Commission du 6 janvier 2021, qui rêvaient de voir le 45e président des Etats-Unis inculpé pour «incitation à l'insurrection».
Ce ne sera jamais le cas.
Dans l'affaire qui oppose le milliardaire républicain au procureur spécial Jack Smith, il est question de «complot pour frauder les Etats-Unis», «complot pour faire obstruction à une procédure officielle», «obstruction à une procédure officielle» et «complot contre le droit de voter et de faire compter son vote». Certes, des accusations suffisamment graves pour que l'on puisse raisonnablement douter du bien-fondé de sa réélection, mais pas la moindre trace d'incitation à la sédition. Rien. Nada.
Pourquoi diable la Cour suprême du Colorado, dans un étrange élan d'efficacité, a-t-elle alors disqualifié Trump de l'élection présidentielle pour «insurrection»? Parce qu'elle le voulait? Parce qu'elle le pouvait? Parce qu'il le fallait? Parce que ça urgeait? Les quatre à la fois, M'sieur le juge! Mais avant tout parce qu'une grappe de citoyens américains a décidé de profiter d'un amendement flou et mou de cette (trop) vieille Constitution, pour se débarrasser rapidement d'un dangereux bonhomme. Ce fut notamment le cas en Floride, au Michigan et, récemment, au Colorado.
Pour faire (très) court, l'article 3 de ce quatorzième amendement interdit quiconque ayant participé à une «insurrection» de briguer un job fédéral. En apparence, c'est la belle affaire. Dans l'esprit de ces citoyens un peu pressés, il s'agissait de bricoler une plainte qui relie vaguement les actes et les dires de Trump à l'ambition d'une espèce d'insurrection. Résultat, cette semaine, sans jury, ni interrogatoire, sept juges nommés par un gouverneur démocrate ont pondu 133 pages, brandies comme une arme, pour fusiller le candidat.
Coup de marteau, hop, au suivant! C'est qu'il fallait se grouiller: le délai pour le dépôt des listes concernant la primaire du Colorado est fixé au 4 janvier prochain.
Autant dire, demain.
Problème(s): la Constitution n'a jamais prévu que son puissant garde-fou puisse un jour concerner le vénérable emploi de président des Etats-Unis. Certes, c'est la preuve que notre époque part un peu en sucette, mais il a surtout fallu que la Cour suprême du Colorado juge toute seule que Trump s'était bien livré à une «insurrection». Et que ce président est en réalité un ordinaire agent de l'Etat. En quelques semaines, ça fait beaucoup de responsabilités.
Avant le Colorado, le Michigan avait pourtant botté un dossier similaire en touche, considérant qu’il s’agit «d’une question politique et non judiciaire». Jeudi, sur CNN, l'ancien procureur général sous l'administration Trump, pourtant devenu son plus féroce détracteur, a été contraint de gifler la cavalcade de la Cour suprême du Colorado.
Indéfendable, mais aussi contre-productif et passablement inflammable. L'un des juges dissidents ayant refusé de considérer Trump inéligible estime que «le retirer des bulletins de vote risque de créer le chaos dans notre pays». Pourquoi? Parce que, jusqu’à preuve du contraire, c'est encore le boulot des électeurs américains. Tant que Donald Trump n'a pas été officiellement condamné dans l'un des 1012 procès qui l'attend, le priver ainsi de course à la Maison-Blanche ressemble furieusement à un acte de censure, qui sera peut-être bientôt difficile à assumer.
Sachant que même Joe Biden s'est engouffré dans l'erreur, en clamant fièrement que Trump «a assurément soutenu une insurrection, il n’y a aucun doute là-dessus, aucun. Zéro», le contrecoup politique sera particulièrement dévastateur. Non seulement pour les démocrates, mais pour... la justice américaine. Lorsque le milliardaire fera recours contre ce jugement, la Cour suprême des Etats-Unis a tout intérêt à balayer sèchement la bravade des collègues du Colorado. Il sera suffisamment tôt, un jour de 2024, pour empêcher l’extrémiste bourrin, menaçant et ouvertement fasciste, de briguer la fonction suprême.
L'avenir des Etats-Unis et la nocivité avérée de Donald Trump méritent mieux qu'un bourreau qui bricole ses armes sur un coin de table.