Le saviez-vous? Elizabeth II n'est pas devenue souveraine dans son propre royaume. La couronne d'Angleterre tombe sur sa (jeune) tête sous le soleil d'Afrique, alors que la princesse se trouve à 10 000 kilomètres de son père, malade.
Ce 31 janvier 1952, sur une piste de l'aéroport de Londres balayée par la bise glaciale, la princesse Elizabeth voit son père pour la toute dernière fois. Evidemment, elle n'en a encore aucune idée.
L'esprit focalisé sur sa mission, la jeune Anglaise salue la foule. Le défi est de taille: remplacer son père, le roi Georges VI, pour une tournée de représentation de la couronne britannique. Un voyage qui doit conduire la princesse et son époux, Philip, aux quatre coins du globe, pendant plusieurs mois. Première étape: le continent africain.
Sur le tarmac, son père a bravé le froid pour venir l'embrasser. Son teint pâle et ses traits tendus témoignent de sa mauvaise santé. Georges VI tient bon. A-t-il un drôle de pressentiment? En tout cas, il somme la gouvernante d'Elizabeth de bien veiller sur elle. Ultimes signes de main. L'avion décolle.
A cette époque, Elizabeth ne vit plus en Angleterre. Elle a suivi son époux à Malte, où Philip est en poste depuis trois ans. Sous le soleil, le couple coule des journées paisibles, rythmées par les évènements mondains, «les pique-niques, le bronzage et le ski nautique», témoigne une proche du couple.
Elizabeth y goûte pour la première fois à un semblant de vie «normale»: elle peut se promener, faire ses courses et même manipuler de l'argent toute seule. Seule ombre au tableau: l'état de santé de son père, resté dans la grisaille anglaise. Georges VI est atteint d'un cancer du poumon.
Kenya, 5 février 1952. Après une semaine très officielle, chargée en rendez-vous et représentations, Elizabeth et Philip se réfugient au Treetops Hotel pour un safari. Caméra au poing, la jeune femme immortalise avec délice le défilé d'éléphants, de babouins ou encore de rhinocéros. Un dernier moment d'insouciance, avant qu'une sombre nouvelle n'arrive d'Angleterre.
Le 6 février, le roi George VI décède dans son sommeil, à l'âge de 56 ans, des suites d'une crise cardiaque. A 7h30 du matin, son valet le trouve dans son lit. L'heure précise du décès reste inconnue. Elizabeth ne saura jamais à quelle heure elle est devenue reine.
La disparition de ce père adoré est un choc pour l'héritière du trône, âgée de seulement 25 ans. Hors de question, toutefois, de laisser filtrer la moindre émotion. Déjà, ce flegme légendaire. Ce sens du devoir à toute épreuve. Est-elle prête? Elizabeth ne se pose même pas la question. Elle n'a pas le choix.
C'est tout emmitouflée de noir et le cœur endeuillé que la nouvelle souveraine descend la passerelle. Elle est accueillie dans son pays par son premier ministre et futur mentor, Winston Churchill, ainsi que par les principaux membres du gouvernement.
Ce n'est qu'un an et quatre mois après son accession au trône que se tient la cérémonie du couronnement.
Le 2 juin 1953, à Londres, il pleut, évidemment. A 10h15, Elizabeth quitte Buckingham Palace, direction l’abbaye de Westminster. Dans les rues de la capitale, trois millions de personnes se pressent pour suivre son parcours. Une foule compacte et dense, qu'elle observe par la fenêtre du carrosse royal. Lequel est inconfortable à souhait.
C'est sans compter sa robe, dont la traîne nécessite d'être soutenue par sept demoiselles d'honneur. Elizabeth s'est préparée des semaines dans les couloirs du palais, en s'emballant dans des draps, pour l'endosser sans une grimace.
Et il y a aussi la couronne. Ornée de plus de 400 pierres précieuses, elle pèse plus de deux kilos.
Alors, Elizabeth a entraîné son port de tête royal en donnant le bain à son fils, Charles, quatre ans.
Malgré l'apparat inconfortable, la future monarque affiche un air serein. A 11 heures, le carrosse fait halte devant l'abbaye de Westminster où l'attendent 8000 invités. Chefs d'Etat, membres du gouvernement, de la noblesse et tout le gratin des élites internationales gigotent d'impatience sur les bancs glacés. Entre eux, s’est glissée une trentaine de cameramen, chargés d'immortaliser le sacre.
Elizabeth a tenu à cette retransmission en direct, malgré les réticences de Winston Churchill, qui craint la médiatisation de cet évènement quasi sacré. La jeune fille insiste, il cède. Cette décision novatrice sera couronnée de succès: le tout premier évènement mondialement diffusé de l'Histoire cumule 277 millions de téléspectateurs, dont 27 millions de Britanniques - soit 40% de la population.
Après trois heures de cérémonie, la reine fait sa première apparition au balcon du palais de Buckingham, en début d'après-midi, sous les cris de liesse de son peuple.
Elle se retire pour assister au premier des deux banquets de couronnement auxquels participent famille royale, dignitaires de pays étrangers et du Commonwealth. On y servira notamment le fameux «poulet du couronnement» (une recette de poulet froid avec une sauce au curry concoctée spécialement pour l'occasion).
A minuit, la reine fait une ultime apparition au balcon du palais. Le règne peut commencer.
La suite, demain, avec notre deuxième épisode.