Lausanne, jeudi 8 septembre 2022, 19h30. La nouvelle tombe, entre deux London Mules sifflés d’une traite, sur le compte Twitter officiel de la famille royale. Elizabeth II, la Reine, n'est plus. Gin, ferveur pour la monarchie, fatigue accumulée, cerveau déconnecté et estomac chamboulé. Ajoutez à cela une connexion internet et un ordinateur, vous obtenez l'équation mathématique fatale: en deux clics et quelques larmes essuyées, le premier billet d'avion qui me tombe sous la souris est réservé.
Samedi, à l'aube, en manque de caféine et (surtout) de passeport (la mort de la Reine m'a fait momentanément oublier le Brexit et feu la possibilité de voyager munie d'une seule carte d'identité), me voilà en train de survoler la Manche. Une seule question en tête: comment les Anglais vivent-ils ce deuil national? En ont-ils encore quelque chose à faire, de leur Reine? Le service d’immigration va-t-il nous renvoyer, moi et ma carte d’identité, fissa en Suisse l’avion à peine sur le tarmac?
En tout cas, impossible de passer à côté de l'info. Son visage en noir et blanc est partout. Y compris sur le wifi du train entre Gatwick et Victoria Station.
10 septembre, 9h00 (heure locale), direction Buckingham Palace, the «place to be». Première surprise: où est la marée de fleurs dont on avait couvert la mort de Lady Di, il y a 25 ans? Où sont les effusions? Les hurlements déchirants? Les sanglots? L’ambiance est étonnamment sereine.
Pour rappel, en 1997, ça donnait ça:
En 2022, la tristesse est calme, feutrée, maîtrisée et surtout, mieux préparée. Pour pallier les embouteillages floraux, un panneau enjoint poliment d'aller déposer ses gerbes et ses larmes juste à côté. Impossible en revanche d'éviter le bouchon humain. Des centaines de fans, curieux, locaux, touristes, se bousculent avec politesse pour déposer un petit mot, dire «Hello» au Palais ou prendre un selfie devant les grilles.
A 10h50, le long du boulevard Saint James, la foule se densifie, bientôt aussi compacte qu'un pudding anglais. Charles III, fraîchement intronisé, s'apprête à livrer son premier discours. A la tristesse de perdre leur icône ultime se mêle la ferveur éprouvée des Britanniques pour leurs Royals. Sur les visages, des sourires, voire de l’excitation. L’attente d’apercevoir le souverain faire le tour du propriétaire en voiture se prolonge. Vers 12h00, les premiers impatients s'échappent.
A quelques encablures de là, au cœur de Londres, la vie continue. Pragmatisme anglais oblige. Loin de la torpeur paralysante à laquelle je m’attendais. Le deuil national se retrouve ponctuellement dans les bouquets qui fleurissent dans les bras des passants ou les vitrines des commerces, sous forme de pancartes-hommages et de rabais sur les shortbreads.
Dimanche, 8h36. Direction Green Park pour un footing et une prise de température matinale. Armées de poussettes et de chiens en laisse, de nombreuses familles londoniennes profitent de la pause dominicale pour aller faire leurs «goodbye» et zigzaguer entre les centaines de milliers de bouquets déposés (à l'endroit prévu) depuis jeudi.
C'est le cas de Mary, Londonienne d'une cinquantaine d'années, et de ses deux filles. Des tournesols dans une main, un poème dans l'autre, elle esquisse un sourire quand je lui demande pourquoi je n'ai vu aucun Londonien vraiment effondré:
Quelques mètres plus loin, je fais une rencontre inattendue: un duo de reinettes, archi-prêtes à prendre la relève, qui prennent la pause devant une poignée d’admirateurs. Après la révérence de rigueur devant Leurs Majestés, elles acceptent généreusement de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions.
Après m'avoir expliqué en détail le pourquoi du comment de leur costume, le tissu de leur traîne et les dentelles, l'aînée m'affirme avec assurance:
Leur maman, Laura, deux corgis (en peluche) sous le bras, confirme: «Ce sont de vraies fans! La Reine a eu ceci de spécial qu'elle a touché toutes les générations».
A qui le dit-elle. Ce n'est pas une Suissesse férue de monarchie et de Corgis qui prétendra le contraire.