Par où commencer? Comment rendre hommage avec les bons mots? Comment faire plus original que les mille personnes plus talentueuses lui ayant déjà rendu hommage? Désolée, mais je vais devoir sombrer dans une platitude absolue.
C'était la femme la plus célèbre de l'Histoire du 20e siècle. La plus photographiée. La plus scrutée. La plus commentée. La plus adulée. La plus critiquée. La plus tout, en fait.
Ce n'est pas un scoop: Elizabeth II n'est plus. La reine d'Angleterre laisse ainsi derrière elle des centaines de réponses. Qui peut se vanter de l'avoir connue? Je ne parle pas de citer par cœur les douze dates clés de sa biographie. Ni de connaître sa taille exacte (161,9 centimètres). Ni la liste des alcools qu'elle affectionnait (Gin, vin doux, champagne, vermouth...). Ni les dix anecdotes-amusantes-que-vous-ignoriez-probablement-à-son-sujet (on sait tous qu'elle roulait sans permis et qu'elle adorait l'équitation). Ni même son arbre généalogique au quatorzième degré (ça, je n'y arrive pas). Non. Qui a connu, réellement, intimement, la reine? Qui a eu accès à ses pensées, à ses sentiments, à ses névroses les plus profondes? Qui savait ce qui lui faisait peur ou qui la rendait triste?
La plupart de ces privilégiés ne sont plus de ce monde. A commencer par le prince Philip, qui a partagé le quotidien d'Elizabeth pendant 74 ans. Peut-être a-t-il eu l'occasion de se pencher sur son épaule, le soir, tandis qu'elle noircissait les pages de son journal intime. Je l'imagine sourire derrière sa petite «saucisse».
En vérité, personne ne sait réellement qui était Elizabeth II. La recette de son succès.
Dans le silence décennal d'Elizabeth II repose sa force. Sa devise légendaire: «Ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier». La femme la plus exposée du monde est celle qui a le moins ouvert la bouche. On ignore tout de ses opinions, de ses goûts. Les chiffres parlent pour elles: 96 ans d'existence, des millions de clichés, des centaines de chapeaux, un milliard de réinterprétations sous forme d'assiettes en porcelaine, de tableaux pop art ou de timbres postaux, 70 ans de règne, une trentaine de corgis. Moins de dix apparitions télévisées et encore moins d'interviews estampillées «inédites». Une seule silhouette, reconnaissable entre toutes.
Peut-être Elizabeth était-elle détestable. Qui sait, une vieille peau. Une femme d'un autre âge née avec une cuillère (à thé) en argent dans la bouche, enfermée dans une tour de Buckingam Palace, déconnectée de la réalité de ses sujets et affublée d'un sens du devoir qui frisait la maniaquerie. On la sait dure. Il en faut, pour maintenir à flot une famille royale qui frôle le naufrage historique. Chaque scandale était réglé par le biais d'un communiqué de presse glacial dans lequel chaque mot était pesé et soupesé.
Pourtant, il y avait cet attachement. Inextricable, inexplicable. Ce sentiment de la connaître un peu. De son amour immodéré pour les chevaux à son vestiaire aux couleurs improbables, en passant par son humour tellement british.
Ce matin du 9 septembre 2022, au lendemain de sa disparition, le monde entier a l'impression d'avoir perdu sa «granny». Respect révérencieux, sentiment de vie et amour presque maternel s'entremêlent confusément dans nos tripes. Où s'arrête la familiarité? Où commence la royauté?
Au risque de réécrire une évidence déjà maintes fois répétée: le monde ne connaîtra jamais d'autre Elizabeth II. Comme on n'a que deux grands-mamans. Personne ne transcendera plus jamais les époques de la même manière. Personne ne pourra plus se targuer, du haut de ses 161,9 centimètres, tout de rose, de mauve ou de vert vêtue, de toucher à la fois le soixantenaire féru d'histoire, le quadra nostalgique des Stones et des punks, ou encore la petite blonde de 24 ans amatrice gourmande de monarchie. Personne ne fera plus l'unanimité comme Elizabeth II.
Sa force, son silence, sa rigueur, son flegme tout britannique. Elizabeth était un roc au milieu d'un siècle de turbulences et de changements permanents, refusant avec obstination de plier la monarchie aux vents de la mode.
Tant qu’elle était là, la monarchie semblait avoir un sens – un sens illogique et irrationnel, mais un sens tout de même.
Adieu, Elizabeth. Et merci. Tu vas me manquer.