Décidément, ils se toisent ces deux-là. Le 25 avril 2022, Elon Musk annonçait publiquement avoir lancé les procédures pour racheter Twitter. Pressé par l'arrivée du milliardaire sud-africain à la tête d'un réseau qui l'avait éjecté, Donald Trump publiait (enfin!) son premier message sur Truth Social, son propre joujou. Démarre alors une douce chamaillerie entre deux grands conservateurs américains. Le 27 avril 2022, taquin, Musk s'était amusé à critiquer le nom du réseau de Donald... sur Twitter évidemment.
Pile une année plus tard, ce mardi matin sur Fox News, Elon Musk annonce qu'il bûche sur une alternative à ChatGPT, qu'il juge beaucoup trop progressiste à ses yeux. Face à l'animateur Tucker Carlson, lui-même effrayé de voir tout un tas «d'intelligences artificielles wokes» se profiler, Musk a tenu à rassurer tout le monde, mais surtout la droite américaine.
Le nom de travail de ce nouveau bébé? TruthGPT. Ça ne s'invente pas, mais ce n'est pas si surprenant. Au moment de créer son propre réseau social, le 45e président des Etats-Unis s'était un peu recroquevillé sur lui-même, vexé, considérant qu'il était sans cesse censuré, filtré, banni par la propagande d'Etat et les mouvances progressistes. Un produit médiatique qui sonnait comme une froide revanche. Celui qui prétend toujours s'être fait voler l'élection ambitionnait, à l'époque, de «donner une voix à tout le monde contrairement à la Big Tech». Vantant, lui aussi, les vertus de la vérité. Celle qui n'est pas bridée par Google ou Biden.
Si Elon Musk est l'un des cofondateurs de la société OpenAI (quand elle n'était encore qu'un labo de geeks à but non-lucratif), il affirme aujourd'hui que ChatGPT est totalement sous l'emprise de Microsoft, qui a investi près de 10 milliards de dollars pour l'implémenter dans son navigateur Bing. Une alliance que le pape de la tech juge «aussi dangereux que les armes nucléaires».
Musk a également déclaré qu'une «IA qui se soucie de comprendre l'univers a peu de chances d'anéantir les humains». TruthGPT, si elle nait un jour, sera ainsi dotée d'une empathie, mais rigoureuse et soucieuse de la vérité. Du moins, celle d'Elon Musk. Un puissant homme d'affaires ouvertement conservateur, méfiant de toute institution et entité officielle, fustigeant les médias traditionnels et laissant proliférer les discours de haine sur un Twitter qui n'est «enfin plus en main des progressistes». Son projet d'intelligence artificielle est lancé sur les mêmes chemins de pensée que le Truth Social de Trump et le Twitter nouvelle génération: arbitrer un monde «de plus en plus sous emprise woke.»
A ce petit jeu arithmétique, Elon Musk se prend évidemment le pied dans la calculatrice. Mais, tout comme l'ex-président des Etats-Unis au moment de dégainer son réseau «Vérité Sociale» (en français dans le texte), le papa de Tesla avoue ne pas supporter les biais psychologiques (quand ils sont de gauche) et l'idée que l'on puisse brider la moindre parole.
Un brin paranoïaque, Musk voit donc dans la volonté d'OpenAI d'éviter les dérapages, une action purement politique. Croyant rêver d'un IA «qui recherche la vérité maximale», il n'envisage qu'un outil technologique qui penche à droite.
Plus étonnant, alors qu'il annonce s'engouffrer dans ce marché prometteur qui a explosé sans lui, Musk fait partie des personnalités ayant signé, au début du mois d'avril, un «moratoire sur les systèmes d’intelligence artificielle très puissants». Cette interruption est censée permettre de réfléchir à la direction à prendre sur l’IA. Or, en pratique, c'est précisément ce que Musk ne fait pas. Comme l'Italie (par exemple), au lieu de participer à l'amélioration des outils disponibles, le réflexe est à la peur, c'est-à-dire interdire ou contrer.
Sans parier sur l'avenir de ce TruthGPT, il paraît difficile d'imaginer lui offrir, en l'état, une autre trajectoire que son copain Truth Social. Pour une raison purement technologique d'ailleurs: aucun réseau social ou nouvelle technologie d'opinion n'a survécu bien longtemps. N'est-ce pas Donald?