Pour l'heure, on n'a rien trouvé de plus efficace que de se moquer de lui. Quand le monde entier a réalisé avec stupeur qu'Elon Musk disposera bientôt d'une chambre d'ami à la Maison-Blanche, il a été très vite considéré comme la nouvelle femme de futur président des Etats-Unis. Une «Elonia Trump» qui navigue dans les jupes du gourou MAGA, avec la ferme intention de ne plus jamais quitter les patios de Mar-a-Lago. On a voulu voir le pote encombrant, le boulet, jusqu'à parier, dès le lendemain de l'élection présidentielle, que cette bromance n'avait aucun avenir.
Une autre stratégie pour le combattre se résume souvent à se concentrer sur l'instabilité financière du réseau social X, racheté 44 milliards de dollars lorsqu'il s'appelait encore Twitter, en 2022. En gardant le nez dans les comptes, ce n'est pas faux. Les annonceurs ont quitté le navire, les procès et les dettes s'accumulent. Selon le Wall Street Journal, 13 milliards de dollars n'auraient toujours pas encore remboursé aux sept grandes banques qui ont ouvert leurs coffres au serial entrepreneur.
Ce rachat, isolé de l'actualité politique, n'avait effectivement pas beaucoup de sens. Allons même plus loin, il y a encore une bonne année, on pouvait lire qu'Elon Musk s'était simplement payé le jouet sur lequel il passait ses nuits, pour en faire le terrain de jeu de ce qu'il appelle le free speech. En d'autres termes, l'énième caprice d'un businessman mégalomane.
Jusqu'à son soutien public et total à la candidature de Donald Trump. Là, d'un jour à l'autre, il a fallu se rendre à l'évidence: le gouffre financier que représente la plateforme X allait devenir la plus puissante caisse de résonance du programme politique du candidat républicain, réduisant Fox News a un blog pour républicains en maison de retraite. X, sur lequel la modération laisse volontairement à désirer, a offert une autoroute d'algorithmes aux commentateurs d'extrême droite et aux podcasts trumpistes les plus populaires des Etats-Unis.
Après l'automobile électrique, la conquête spatiale ou la neurotechnologie, Elon Musk a donc investi (à perte?) dans le dernier échelon qui lui manquait pour atteindre sereinement le Bureau ovale: le pouvoir médiatique.
Parier sur Trump, en lui glissant personnellement plus de 100 millions dans la poche, était un coup de poker pour celui qui est devenu, dimanche soir, l'homme le plus riche de l'Histoire, avec une fortune estimée à 348 milliards de dollars. Chargé aujourd'hui de faire (notamment) le ménage dans l'administration fédérale, Elon Musk est sans doute, comme le dit Axios, le «citoyen non élu le plus puissant de tous les temps», tout en collectionnant les conflits d'intérêts qui ne vont pas empêcher Trump de dormir. Ce qui n'est pas forcément le cas des élites politiques européennes.
Ce pouvoir, inédit dans l'histoire moderne, fait aujourd'hui tourner la tête des apôtres de Donald Trump. Elon Musk est finalement ce pote influent qui leur manquait pour se pavaner, lâcher les chiens et prendre définitivement confiance, depuis l'élection du milliardaire MAGA. Avec Trump et Musk dans la même équipe, le politique et l'argent, le yin et le yang du populisme d'extrême droite, tout est désormais possible. Et quand de grands gamins atteignent le sommet du monde, ça donne une euphorie qui frise l'hystérie.
Dernier exemple en date, l'avenir de la chaîne de télévision préférée des démocrates. Lorsque Comcast a annoncé vouloir regrouper CNBC, E!, SyFy, Fandango, USA Network, Rotten Tomatoes, Oxygen, Golf Channel et la star MSNBC au sein d'une nouvelle entité, le fantasme s'est emparé des trumpistes: et si Elon Musk se payait la chaîne progressiste, comme il s'est emparé de Twitter? Dans les faits, cette manigance permet effectivement à un acheteur de s'offrir le bouquet. Et le fiston de Donald Trump a lancé les hostilités ce week-end, sur le ton de la blague.
Hey @elonmusk I have the funniest idea ever!!! https://t.co/OEwz6S5ncs
— Donald Trump Jr. (@DonaldJTrumpJr) November 22, 2024
Si le rachat de Twitter partait lui aussi d'une boutade, il y a très peu de chances pour qu'Elon Musk puisse s'offrir cette chaîne qui a largement soutenu Kamala Harris durant la campagne présidentielle.
Malgré tout, son toupet permet de mesurer le sentiment d'impunité et de toute-puissance d'un clan qui est sur le point d'arriver au pouvoir. Le patron de Tesla, lui, en a profité pour rappeler l'ambition qu'il a pour son réseau social, qu'il considère comme la quintessence du journalisme citoyen.
Au lendemain de la victoire de Donald Trump, Musk avait d'ailleurs délivré son verset biblique, sur son réseau social: «Vous êtes les médias, maintenant».
Une distorsion de pensée que l’historien David Colon, spécialiste des médias, a tenu à commenter dans une tribune au Monde: «Ce que Musk appelle le journalisme citoyen n’est autre qu’une arme de destruction massive de la réalité factuelle et de disqualification systématique de celles et ceux qui ont pour vocation de produire des connaissances fiables».
Une autre réalité, qui a d'ailleurs fait du mal à la campagne démocrate, c'est qu'en période électorale, les médias traditionnels tirent la langue face à la puissance des voix militantes sur d'autres supports. Et la gauche n'a pas encore trouvé d'armes aussi redoutables que Tucker Carlson ou Joe Rogan, pour combler le retard. Si cette influence est inquiétante, c'est dans ce paysage chamboulé et avec la bénédiction du futur président, qu'Elon Musk a désormais le pouvoir de menacer la stabilité du monde, rien qu'en sortant son carnet de chèques.