Une plaie ouverte, des crocs dans la chair. Une vraie boucherie. Idéologique, la boucherie. Il y a une semaine, les présidentes de trois prestigieuses universités américaines ont trébuché sur une question qui aurait mérité une réponse simple et rapide:
«Ça peut, mais ça dépend du contexte». Aïe. En quelques mots d'une inconscience crasse, devant le Congrès américain, la présidente du MIT, celle de Harvard et leur consœur de UPenn se retrouvent sur un gril que les républicains se sont empressés d'allumer. Et les flammes ne sont pas prêtes de se réduire en cendres. Pensez-vous, l’occasion est trop belle pour laisser passer une opportunité de dévorer tout cru un monde académique «infecté par le wokisme».
Pour l'heure, seule Liz Magill, présidente de l’Université de Pennsylvanie, s'est vue contrainte de démissionner. En quelques heures, l'établissement avait déjà perdu un million de dollars, lâché par un puissant mécène. C'est connu, les donateurs n'ont pas mieux que leur porte-monnaie pour signifier leur désapprobation.
Mercredi, et malgré une pression gigantesque, Harvard annonçait, les reins solides, que Claudine Gay ne serait pas déboulonnée. Et, cette fois, l'argent n'a pas fait plier l'université la plus prestigieuse de la planète. On raconte pourtant que depuis la polémique, plus d'un milliard de dollars de dons se sont fait la malle.
Autant dire que la guerre est définitivement déclarée. A la démission de Liz Magill, la républicaine Elise Stefanik, qui avait mené sèchement les auditions des trois présidentes, fut très claire sur son funeste objectif: «Une de moins, il en reste deux», balançait-elle sur X, évoquant «le tout début de la lutte contre la pourriture omniprésente de l’antisémitisme». Ne nous laissons pas totalement émouvoir par ce sursaut d'hygiénisme moral qui jaillit de la droite.
Même si les mots des présidentes ont choqué (à raison) tous les bords politiques, cette polémique permet surtout d'accélérer la lutte contre ce que l'on peut traduire par la «pourriture omniprésente du progressisme». Les ultraconservateurs n'ont pas attendu le mois de décembre pour condamner une mainmise de l'extrême gauche sur la direction des universités.
Mais en lançant une vaste enquête parlementaire, officiellement pour mesurer l'ampleur de l'antisémitisme qui se planque dans les amphis du pays, le comité de l’éducation de la Chambre des représentants s'offre la possibilité d'un grand nettoyage. Si cette entité est tenue par une majorité républicaine, elle abrite évidemment des démocrates, dont certains se sont ouvertement offusqués des propos des trois présidentes d'université. La belle affaire.
Pour le camp conservateur, cela fait des lustres que les milieux académiques, qu'ils soient privés ou publics, gaspillent leurs budgets et s'égarent dans une quête d'inclusivité et de justice sociale qui met «l’éducation de nos enfants en danger». Mais sans pour autant parvenir à convaincre les Américains du bienfondé de leur obsession.
Au point que les candidats républicains à l'élection présidentielle ne s'étaient pas risqués à brandir le dossier durant les premiers débats. Or, depuis le 7 octobre et l'attaque terroriste du Hamas en Israël, la roue semble tourner. L'audition des présidentes devrait durablement déstabiliser l'enseignement, au point que certains observateurs ne seraient pas étonnés de voir les robinets à subventions se fermer à large échelle.
Si l'affaire sonne comme une puissante revanche politique, elle est aussi (et c'est plutôt cocasse) une vengeance personnelle. La députée Elise Stefanik est très critique à l'encontre d'Harvard, mais elle en est aussi... diplômée. Républicaine modérée à ses débuts, l'élue de New York va verser dans le trumpisme en pleine pandémie de Covid-19.
Après une campagne sur le thème du «grand remplacement» en 2021, elle parviendra à fâcher son alma mater, au point de se faire éjecter du conseil d'administration de l'Institute of Politics, pour avoir crié à la fraude au sujet de l'élection de Joe Biden en 2020. Comme le rappelle The Hill, elle accusera à l'époque Harvard d'avoir «cédé à la gauche réveillée».
Il est donc peu étonnant de retrouver Elise Stefanik en tête de bataillon, hurlant que «cette audience aura des conséquences tectoniques, et ce sera un séisme dans l’enseignement supérieur». Oeil pour oeil, dent pour dent et aux étudiants, ensuite, de ramasser les morceaux de chairs qui jonchent le ring politique? Peut-être. Ce qui est sûr, c'est que le «wokisme» devrait bénéficier d'un surprenant regain de popularité dans la primaire républicaine.