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Polémique: «Peut-on appeler au génocide des juifs? Ça dépend»

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images: getty, montage: watson
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«Peut-on appeler au génocide des juifs? Ça dépend»

La question est absurde. Elle a pourtant été posée, à propos des Juifs, au Congrès américain, à trois présidentes d'universités prestigieuses. «Ça dépend du contexte», ont-elles décidé de répondre, avant de se rétracter. Depuis, la patronne de l'université de Pennsylvanie a démissionné et la séquence, ahurissante, est entrée dans l'Histoire.
11.12.2023, 18:5611.12.2023, 22:32
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«Appeler au génocide des Juifs est-il contraire à votre code de conduite et vos règles contre le harcèlement?» Une question terrible, mais simplissime. A la frontière de l'absurde, tant la réponse, en 2023, semble tomber sous le sens. Surtout quand on est auditionné au Congrès américain et ne serait-ce que pour éviter de frôler volontairement l'appel au meurtre. Une question pourtant répétée à maintes reprises, jusqu'aux haut-le-cœur. Les réponses, parlons-en. Elles seront brouillonnes, gênées, gênantes, balafrées de silence et proprement ahurissantes.

La séquence, d'une longueur qui confère au supplice et filmée par les caméras du Capitole, restera sans doute dans l'Histoire. Mardi 5 décembre 2023, quatre-vingt ans après la Shoah, trois puissantes femmes américaines laisseront planer un doute insoluble sur la légitimité, ou non, d'appeler à massacrer des êtres humains en masse, en raison de leur religion.

Les réponses:

«Ça dépend du contexte»
Sally Kornbluth, présidente du MIT
«Ça peut, mais ça dépend du contexte»
Claudine Gay, présidente de Harvard
«C'est une décision qui dépend du contexte»
Liz Magill, présidente de l’Université de Pennsylvanie

Dans le rôle de l'interrogatrice, on trouve l'élue républicaine de New York Elise Stefanik, à la tête de la Commission de l'éducation et de la main-d'œuvre de la Chambre des représentants. Il lui sera d'ailleurs reproché d'être républicaine, lorsque des commentateurs voudront justifier l'attitude des présidentes de trois des plus prestigieuses universités au monde.

Certes, Stefanik n'y est pas allée de main morte. Certes, les conservateurs ne peuvent pas piffrer ces écoles qu'ils considèrent comme «soumis à la dictature du wokisme». Certes, cette question simple abrite une réalité (et non une réponse) complexe. Mais dans cette séquence à jamais immortalisée, trois fabriques de l'élite de demain soutiendront mordicus que la légitimité d'«appeler un génocide des Juifs» dépend d'un «contexte».

Parlons justement du fameux «contexte», si lourdement brandi ce 5 décembre 2023 et qui fera dire à Claudine Gay, à la tête d’Harvard depuis le mois de juillet de cette année, que

«Nous souscrivons à notre engagement en faveur de la liberté d’expression, même des opinions répréhensibles, offensantes, haineuses»

Depuis l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël, une flambée d'actes antisémites boute le feu aux campus américains, lacérés par les clivages idéologiques et politiques. Et au nom d'une cause palestinienne pour laquelle, aujourd'hui, la fin semble justifier passablement de moyens.

Et notamment à plusieurs milliers de kilomètres d'un conflit qui n'en finit plus d'enterrer ses morts.

Face aux incessantes manifestations, intimidations, menaces de mort et expéditions punitives, certains étudiants juifs se sont récemment résolus à fuir les amphis, s'avouant effrayés à l'idée de franchir les grilles de leur propre université. «Au djihadisme d’atmosphère s’ajoute un antisémitisme d’atmosphère», décrira notre collègue Antoine Menusier, pour rendre compte de «l'inquiétante passion antijuive en Occident». En parallèle, à la Maison-Blanche, la cote de popularité de Joe Biden s'effrite notamment pour son soutien indéfectible à la réponse israélienne.

Sommées de présenter les remèdes mis en place pour assurer la sécurité de «tous les étudiants», les trois présidentes avaient pourtant décapsulé leur audition en condamnant «sans équivoque l'attaque du 7 octobre».

C'est ensuite que ça s’est gâté.

Pour rappel, en organisant cette audition, le Congrès américain a d'abord cherché à comprendre. Puis à s'assurer que des dispositions étaient prises par les dirigeants des universités où les actes antisémites sont les plus nombreux. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la présence à Washington des présidentes d'Harvard, du MIT et de UPenn n'aura pas permis de clarifier les esprits.

Dans cette salle du Capitole, les voix sont faiblardes, les regards fuyants, les gestes encombrés. Réfugiées dans leurs notes comme des élèves qui n'auraient pas révisé, ou des lapins pris dans les phares de la vraie vie, Sally Kornbluth, Liz Magill et Claudine Gay se sont montrées violemment tiraillées. On ne le répétera jamais assez, la question qui a torturé à ce point ces trois femmes influentes est la suivante:

«Appeler au génocide des Juifs est-il contraire à votre code de conduite et vos règles contre le harcèlement?»
Elise Stefanik, élue républicaine de la Chambre américaine des représentants.

Sur le moment, et malgré le malaise, les trois présidentes semblent malgré tout persuadées de faire leur boulot, brandissant cette très disputée «liberté d'expression académique». Or, de par et d'autre de l'Atlantique, les universités ont toutes les peines du monde à la faire respecter, lorsque les professeurs, les invités, les livres ou les propos froissent une frange estudiantine plus volontiers de gauche. Un free speech que pleurent précisément les conservateurs, souvent quand ça les arrange.

Qu'à cela ne tienne, Claudine Gay a considéré que cette audition au Congrès était le moment idéal pour clamer que «nous ne punissons pas les étudiants pour leurs opinions à Harvard». Histoire de rajouter une bonne couche de confusion malvenue, laissant croire qu'«appeler à un génocide» serait une opinion.

Rappelons, enfin, que si l'institution de l'Est américain trône au sommet des établissements les plus prestigieux de la planète, elle ferme la marche dans le classement dressé chaque année par la Foundation for Individual Rights and Expression, une fondation elle-même controversée car soupçonnée de puiser son énergie (et ses fonds) chez les ultraconservateurs.

Vous trouvez que c'est le bordel? Vous avez raison. C'est pourquoi ce fameux «contexte», invoqué comme le messie par les trois puissantes présidentes, devant la commission de la Chambre, est à la fois beaucoup plus ample qu'elles le voudraient, mais n'a rigoureusement aucun sens face à la question qui scandalise aujourd’hui (quasiment) toute la planète. Au Congrès, et de mémoire récente, jamais une audition n'avait scandalisé républicains et démocrates d'une même voix.

Sous la pression populaire, mais aussi des influents mécènes, Liz Magill, présidente de l’Université de Pennsylvanie, a été forcée de présenter sa démission. Le soir-même, les médias américains annonçaient que UPenn avait perdu 100 millions de dollars. Les autres ont tenté vainement de rétro-pédaler, jusqu'à faire peser la faute sur «ceux qui ont confondu».

«Certains ont confondu le droit à la libre expression avec l’idée que Harvard cautionnerait les appels à la violence contre les étudiants juifs. Je veux être claire: les appels à la violence ou au génocide contre la communauté juive, ou tout autre groupe ethnique ou religieux sont ignobles»
Claudine Gay, présidente d'Harvard

Mais est-ce bien la «liberté d'expression académique» qui fut à la base de ces réponses assourdissantes? Pourquoi aucune d'entre elles n'a immédiatement condamné «l'appel au génocide des Juifs», avant de plonger dans un «contexte» qu'il est malgré tout important d'intégrer à toute équation sensible? Certains, à droite toute, hurlent à la «preuve du pouvoir grandissant du wokisme au sein des universités». D'autres pointent un immense malentendu durant l'audition ou la peur panique de ne froisser personne.

Une chose est certaine, aucun «contexte» n'aura jamais le pouvoir d'exempter des institutions aussi puissantes de condamner des «appels au génocide des Juifs».

A sa nomination, en décembre 2022, Claudine Gay, première femme noire à présider la prestigieuse Harvard, arguait que «l’idée de la tour d’ivoire, c’est le passé de l'université. Nous n’existons pas en dehors de la société, mais en tant que partie intégrante de celle-ci».

C'est précisément ce qui leur a manqué, mardi dernier, devant le Congrès. Cette séquence, qui passe encore en boucle sur les réseaux sociaux, dépasse largement le conflit israélo-palestinien, l'idéologie des uns et des autres et la question de «l'antisémitisme endémique».

La question posée par Elise Stefanik, ce 5 décembre 2023, balance un immense pavé dans les campus américains, en proie à une crise existentielle qui, désormais, apparaît sous la loupe d'une enquête politique.

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Video: watson
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