«Quand vous voyez qu’il n’y a que 30 habitants, on va se regarder d’un drôle de regard…» Ce week-end, Le Parisien s'est risqué à cueillir quelques témoignages en bordure du Haut-Vernet, là où le petit Emile, deux ans et demi, a disparu. Un exercice manifestement compliqué. D'abord parce que le hameau a été bouclé par les autorités, dans le but de faciliter le travail des enquêteurs, mais surtout pour éviter «le tourisme malveillant». Un huis clos qui va durer au moins jusqu'à la fin du mois.
Une simple barrière en travers de la route qui mène au hameau, signale l'interdiction. Après les grandes battues de la première semaine, réalisées par les centaines de policiers, pompiers, militaires et bénévoles, le Haut-Vernet est isolé, dans un calme d'apparat.
Les badauds sont rares, l'essaim de journalistes se disperse peu à peu et les vingt-cinq spécialistes de la section de recherches de Marseille analysent les nombreux éléments récoltés, à l'abri des regards. Il faut dire aussi que l'enquête a changé de statut, basculant désormais «sous le régime de l'enquête préliminaire». Mardi, une information judiciaire a été ouverte en raison de la «complexité de l’affaire».
Les trente habitants, interrogés un par un durant les premiers jours de l'enquête, s'aventurent aujourd'hui rarement plus loin que leur bout de jardin. Seule la messe quotidienne, pour Emile, qui s'organise dans la petite église en surplomb, badigeonne le hameau d'une lueur d'espoir.
C'est le début, malgré tout, d'une infernale routine. L'absence totale d'indice et de piste plonge le Haut-Vernet, «où tout le monde se connaît, où tout le monde s'apprécie», dans un désarroi qui pèse des tonnes. Au bout du fil, l'anthropologue française Fanny Parise nous explique que «ce qui faisait société avant un événement traumatique se retrouve instantanément repensé, restructuré». En d'autres termes, la notion de confiance, «indispensable pour vivre dans une communauté, un quartier, un petit village de manière intentionnelle», est soudain remise en jeu.
«Ici, tout le monde sait tout», glissait d'ailleurs une habitante, à un journaliste de La Dépêche. Tout, hormis le plus important: où a bien pu passer Emile? Le petit blondinet, que personne n'a revu après 17h15, samedi 8 juillet, semble s'être littéralement volatilisé. Et les nerfs sont à vif.
La famille, nombreuse, décrite comme «discrète», voire «recluse», s'est désormais rassemblée dans cette maison de vacances de tous les regards. Un foyer où la religion tient désormais le moral des troupes à bout de prières. Ses membres, dont le mode de vie et la foi alimentent les discussions, sont «meurtris» et «repliés sur eux-mêmes», témoigne un très bon ami des grands-parents d'Emile, à BFMTV, qui n'a pas eu de nouvelles depuis le 12 juillet.
Un mutisme qui tend à se généraliser. La famille ayant décidé de ne pas s'exprimer, les autorités et les habitants communiquant peu, ce silence et cette autarcie forcée interrogent, parfois loin à la ronde.
Pourquoi la solidarité et la bienveillance, brandies au début par tout un village, peuvent-elles s'écrouler en quelques jours? «Ce sont des mots sincères. Nous sommes contraints de partir du principe que l'autre est gentil, pour s'intégrer socialement. Sinon, on ne dort plus et on n'envoie pas nos enfants à l'école», développe Fanny Parise.
Le Haut-Vernet en est là, après dix jours d'angoisse et de tapage. Alors qu'aucune piste n'a encore été écartée par les enquêteurs (de l'accident de voiture, à la rencontre fortuite avec un animal, jusqu'à l'enlèvement), un climat de suspicion s'est sournoisement installé dans les étroits chemins du hameau.
Vendredi, des habitants préparaient leurs alibis. On se regarde un peu de travers, chaque fait et geste est disséqué. Le maire, François Balique, que nous avons tenté de joindre sans succès, avouait ce week-end que cette disparition «alimente des théories fantasques et conduit certains à jeter l'opprobre sur d'autres sans preuve». C'est ce qu'on appelle un bouc émissaire. Fanny Parise nous explique qu'il n'est jamais là par hasard et le décrit comme «quelqu'un de proche, mais pas trop, pour être en mesure de lui faire du mal».
Il y a près de quarante ans, un drame similaire frappait le Valais et le petit village de Saxon. Samedi 28 septembre 1985, Sarah Oberson, six ans, disparait entre son domicile et la maison de sa grand-maman. Quelques mètres ont suffi. Même si son tricycle a été retrouvé dans la cour d'école un peu plus tard, rien ne permettra de comprendre pourquoi et comment la petite Sarah s'est volatilisée, dans ce petit village où, là aussi, «tout le monde se connaissait».
Contrairement au Haut-Vernet, une campagne d'une ampleur sans précédent avait rapidement été mise sur pied, «afin de remuer ciel et terre», se rappelle Bernard Comby, ancien politicien valaisan, dans un documentaire réalisé par Le Nouvelliste, en 2022.
Toujours au bout du fil, l'anthropologue française Fanny Parise nous explique que «tous les rituels sont bons» pour limiter la casse, dans la cohésion d'une communauté en crise.
A Saxon, la thèse de l'enlèvement sera très vite privilégiée par les parents, à force de ne pouvoir compter sur des pistes et des indices fiables. C'est là qu'un lourd climat de suspicion a commencé à peser sur toutes les têtes. «Des bruits ont couru. C'était une ambiance plus que délétère. Bien sûr qu'il y a eu des soupçons, des noms ont aussi été prononcés», décrit Michel Gay, journaliste à la Gazette de Martigny, joint par watson en vacances, qui nous a renvoyés à ses mots prononcés dans le documentaire du Nouvelliste.
Ce sera notamment le cas du concierge de l'école, qu'un élève aurait aperçu en compagnie de Sarah. «En même temps, il faisait aussi son travail», explique Bernard Comby.
Hélas, nul besoin d'une preuve de culpabilité pour endosser ce rôle inconfortable. «Parfois, la vérité est si dure à accepter, que l'habitant le moins sympa du village fera le parfait méchant de l'histoire. Même si ça brise des vies.»
On questionne notre anthropologue sur les éventuels remords éprouvés par une communauté, lorsque ce bouc émissaire se retrouve innocenté. «Un sentiment de culpabilité peut effectivement se greffer, mais, aussi horrible que cela puisse paraître, il sera souvent secondaire.»
Comment le hameau du Haut-Vernet peut-il retrouver la quiétude qui était la sienne, avant le drame?
Nous n'en sommes pas encore là. Les enquêteurs «ne relâchent pas la pression». Et le maire ne semble pas près de se départir de son endurance: «Il est de mon devoir de veiller à la tranquillité de mes administrés et de la famille, qui est toujours au Haut-Vernet, ce n'est pas un secret.»