Il s'en «bat les couilles», Manès Nadel. Surtout quand on commence à lui chercher des noises. Il s'en battra donc probablement les couilles qu'on le considère d'emblée comme un gauchiste pur jus, lui qui considère ses ennemis (politiques) comme des «droitards».
Sur Twitter, pays féérique de la fronde personnelle, l'adolescent n'a plus une minute à lui. Depuis qu'il fait sensation chez Yann Barthès ou sur BFM TV pour faire capoter la réforme des retraites, Manès Nadel s'en prend plein la gueule. De l'amour, bien sûr, pas mal de soutien, mais des sceaux de caca, la plupart du temps. On le traite facilement d'Harry Potter, de curiosité médiatique ou de bébé militant. Il a même eu du «petit con», ce sobriquet dédié à ceux qui l'ouvrent sur des sujets qui, dit-on, ne sont pas de leur âge. Eric Woerh, ancien ministre du Travail et député, en a récemment fait les frais, après avoir pris le jeune de haut en lui suggérant «de faire des études».
C'est sûr, il la ramène. Mais Manès Nadel, quinze petites années au compteur, une tronche d'enfant de choeur et une verve de syndicaliste qui pourrait faire passer Philippe Martinez pour un jeune trader de La Défense, sait parfaitement de quoi il cause. C'est même précisément ce qui peut susciter un petit malaise chez le téléspectateur. Comme si Mélenchon s'était réincarné dans le corps d'un mioche du 15e arrondissement.
Certes, on dit parfois que les petits Français savent manier plus tôt que tous les autres francophones la langue de Diderot. Mais, du fond, de la forme, et sans la moindre goutte de sueur sur la tempe, c'est quand même une prouesse, à l'âge où l'on est censé passer ses journées sur Twitch. «On en a marre de ce pouvoir qui ne nous écoute pas, de ce gouvernement qui ne comprend que la force», qu'il assène chez BFM sans trembler, enrichi d'une gestuelle que beaucoup d'adultes rêveraient de maîtriser au moment de défendre des idées.
Lycéen leader (l'inverse est vrai aussi), le gamin que tout le monde s'arrache est en seconde à l'établissement Buffon à Paris. Un adulte en téléchargement. Mais ces derniers mois, c'est surtout le meneur charismatique du syndicat La Voix lycéenne. De toutes les manifs, si possible en tête de cortège, poing droit serré et porte-voix dans la main gauche, Manès est devenu un symbole à l'agenda chargé. Après avoir bloqué un collège, ça file fissa sur les plateaux télés pour dérouler un argumentaire qui sidère par sa clarté et son aplomb.
Le voilà propulsé chef de file d'une jeunesse qui mouille le maillot pour défoncer la réforme des retraites du gouvernement Macron.
Un papa prof d'économie, une maman fonctionnaire, Manès n'a pas été poussé par une famille militante, comme on pouvait imposer une carrière de gymnaste ou de chanteuse à la petite dernière. Ses frères et soeurs le soutiennent, de loin, sans pour autant battre le pavé en rythme. Son déclic, il le déniche dans la crise climatique, «car, elle s'accompagnera forcément d'une crise sociale», explique-t-il à FranceInfo.
«Encore un gamin qu'on nous sort du chapeau», peut-on lire notamment sur les réseaux sociaux. Depuis le phénomène Greta Thunberg, les jeunes hissés au sommet de l'attention médiatique suscitent tout et son contraire. Fierté, admiration d'un côté, suspicion et agacement de l'autre. Un mioche savant, c'est clivant. Avec Manès Nadel, aucune trace, pour l'instant, d'une quelconque instrumentation politique. Lui, il s'en amuse: «On ne dit pas des trucs après avoir entendu les adultes de gauche, en se disant "tiens, on est d'accord". On a un travail très profond».
Tout juste peut-on déceler chez lui cette capacité à reproduire ce qui a déjà fonctionné chez les séniors du combat social: petites phrases assassines, répétitions, slogans et ne pas hésiter à ne pas répondre aux questions quand ça risque de dévier de l'argumentaire combattif. Sur BFM TV, Manès abritait encore quelques réflexes de la génération YouTube. Fixer la caméra? Oui, mais pas à la télévision de papa.
Et puis, suivi par une équipe de Quotidien il y a quelques jours, l'ado a trébuché en fin de reportage, pensant que le micro ne l'entendait plus: «On n'a pas une minute pour soi! À un moment, j'ai sifflé L'Internationale et elle a tout de suite dégainé sa caméra la journaliste». Une erreur de jeunesse qui en appellera d'autres, puisque le combat, en France, n'est pas terminé et qu'en tutoyant les 20 000 followers sur Twitter, Manès Nadel n'est qu'au tout début d'une carrière de pop star de la cause sociale. Tant qu'il y aura des «droitards» et même s'il s'en «bat les couilles».