Ce fut la petite (mais intense) polémique du week-end. Samedi soir, face à la journaliste Léa Salamé dans l'émission Quelle époque! sur France 2, le «cardiologue et nutritionniste» (selon Wikipédia) Frédéric Saldmann nous a tous pris pour des cons. Au sens propre. Enfin... ceux qui, parmi nous, décrochent du travail plus de trois semaines d'affilée.
La célèbre journaliste l'a lancé sur le sujet en précisant qu'elle était d'accord sur le fait qu'à force, «on devient débiles». Quelques secondes plus tôt, celui que Vanity Fair surnomme le «médecin et gourou du Tout-Paris» affirmait que le «jeûne séquentiel rendait intelligent».
Si Frédéric Saldmann s'en est pris si franchement à notre Q.I., c'est pour cirer les ventes de son 17e (!) bouquin, Votre avenir sur ordonnance, dans lequel il livre ses trucs et astuces pour devenir centenaire, entre exercice physique, restriction calorique et hygiène cérébrale.
Sur le plateau, le cardiologue fera ensuite les yeux doux au projet de «réarmement démographique», brandi récemment par le président Macron, puisqu'il conseille de «faire l'amour 12 fois par mois» pour «augmenter l'espérance de vie de 10 ans».
Sur les réseaux sociaux, les premières réactions sont sans appel ni surprise. Traité parfois de «charlatan» et d'«escroc», Saldmann s'en prend plein la figure. Et notamment pour sa capacité à asséner de grandes phrases définitives, sans le moindre contradictoire, dans une émission populaire. Le plus énervé, et de loin, s'appelle Olivier et se présente sur X comme un maître de conférences en psychologie cognitive: «Le Q.I., c'est quelque chose de plutôt stable. Il est assez évident qu'on ne diminue pas de façon drastique nos performances cognitives en quelques mois, pour la seule raison de s'être... reposé».
Jusqu'au physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, qui fustige cette possibilité de «dire des bêtises de façon aussi tranquille, sans aucune contestation. Les bonimenteurs se voient désormais offrir des boulevards Haussmann».
Toujours sur la plateforme d'Elon Musk, une note de contexte est très vite venue se blottir conte la publication de France 2. En lien, un article de Radio-Canada, datant du 13 juin 2019, qui évoque lui aussi la perte de points de Q.I. durant les vacances: «Il y a une littérature scientifique sur le sujet, et les résultats de recherches concordent avec mon expérience: les vacances, ça diminue le quotient intellectuel. Heureusement». Le neuropsychologue Dave Ellemberg avoue lui-même, toujours dans l'article canadien, avoir constaté «un certain abrutissement» lorsqu'il levait le pied quelques semaines. Les coupables? L'inactivité, le repos et la chaleur, qui réduisent la quantité d'oxygène en route pour le cerveau.
Diantre! Frédéric Saldmann aurait-il donc raison de nous considérer comme des abrutis, une fois les fesses sur un transat? Oui et non. Car le neurologue allemand précise bien (lui) qu'il s'agit de seulement «quelques points» de Q.I. et que l'effet est «momentané». Une nuance qui change tout, surtout lorsqu'on est écouté par plus d'un million de personnes, sur une chaîne publique, un samedi soir.
Le médecin invité par Léa Salamé est le seul à parler de cette perte de «20 points». Aucun consensus scientifique n'existe à ce sujet. Mais c'est un chiffre suffisamment rond et angoissant pour briller sur un plateau de télévision, comme dans des livres. Petite précision qui a son importance, Saldmann jouait déjà avec cette phrase en 2017, pour faire peur dans les chaumières.
Histoire de se rassurer (un peu), on a quand même décidé de lancer un coup de fil à une spécialiste du cru. Éléonore Delhomme, psychologue pour les cabinets Hi-Mind en Suisse romande, rit jaune quand on lui raconte la polémique suscitée par l'émission de Léa Salamé.
Éléonore Delhomme en profite pour nous préciser que ce sont les enfants qui sont les plus susceptibles de voir leur quotient fluctuer «et ce jusqu’à maturation du cerveau, aux alentours de 20 ans». Bien qu'une «différence de quelques points puisse parfois être observée entre l’enfance et l’âge adulte, il est très rare que le QI fluctue de façon significative une fois adulte. Sauf en cas de lésion cérébrale ou de neurodégénérescence, par exemple». Mais qu'est-ce qui peut venir réellement grignoter nos facultés intellectuelles? «La consommation fréquente de cannabis, sur le très long terme, a la capacité d’altérer sérieusement les fonctions cognitives. On parle alors d’une perte située entre 8 et 10 points. Vous imaginez donc bien que trois semaines de vacances ne seront jamais suffisantes pour perdre 20 points.»
Nous voilà rassurés.
Pour mieux comprendre les fréquents coups de comm' de Frédéric Saldmann, il faut savoir que ce médecin des peoples a vendu trois millions de livres à travers le monde, que ses répliques à l'emporte-pièce le catapultent régulièrement sous les projecteurs et que son cabinet fut fréquenté, à leurs grandes heures, par Bernard Tapie, Jack Lang, Claude Lelouch ou même François Hollande. Si le principal intéressé a toujours démenti avoir prescrit, dans les petits salons de l'Elysée, un régime draconien à l'ancien président de la République, Vanity Fair maintenait ses informations en 2015.
Et puis, en vérité (non scientifique), ce n'est pas bien grave de se sentir un peu «débile», quand on planifie trois semaines en Italie pour manger du poulpe et barboter dans une eau turquoise.