Que faut-il faire de ces épouses européennes de djihadistes et de leurs enfants, enfermés dans des camps en Syrie? Un dilemme extrêmement compliqué auquel sera confrontée la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ce mercredi.
À l'origine de la requête: deux couples, qui réclament le retour en France de leurs filles, toutes deux compagnes de djihadistes, de leurs petits-enfants.
Les deux jeunes femmes avaient respectivement quitté la France en 2014 et 2015 pour rejoindre la Syrie, où elles ont donné naissance à plusieurs enfants. Désormais âgées de 30 et 32 ans, elles sont retenues avec eux, depuis le début de 2019, dans les camps d’Al-Hol et de Roj, gardés par les forces kurdes, dans le nord-est de la Syrie.
La France a refusé de procéder à leur rapatriement, ce que dénonce les avocats des familles. Cités par Le Monde, ils ont lancé peu avant l'audience:
Avant d'ajouter: «Ces enfants sont des victimes de guerre, et leurs mères doivent répondre de leurs actes devant le seul pays où elles sont judiciarisées: la France.»
Marie Dosé et Laurent Pettiti dénoncent la sélection opérée par la France pour choisir quels enfants seront rapatriés, et lesquels ne le seront pas. Ainsi, sur les 200 enfants encore détenus au camp de Roj, «la France en a rapatrié 35, qu’elle a choisis. Et elle n’exercerait pas de pouvoir sur ces camps ? Soyons sérieux, c’est une hypocrisie totale.»
Les avocats considèrent que Paris est en outre responsable d'une violation du droit à la vie familiale, en empêchant les petits-enfants de rejoindre leurs grands-parents.
Ils rappellent aussi que la convention interdit à un Etat d’empêcher le retour sur son territoire de ses ressortissants.
Les deux familles ont épuisé tous les recours en France. C’est donc à la CEDH qu’il revient de trancher. L'affaire, classée comme prioritaire, sera examinée par la plus grande chambre de la cour. Cette cour suprême est composée de 17 juges. Sept Etats membres du Conseil de l’Europe ont demandé à intervenir dans la procédure, de même que plusieurs ONG et rapporteurs des Nations unies.
L'affaire fera sûrement jurisprudence. La décision, non susceptible d’appel, sera rendue dans plusieurs mois.
La question du rapatriement reste un tabou tant au siège de l’Union européenne (UE), à Bruxelles, que dans les capitales concernées.
En 2019, la Finlande a rapatrié six femmes et une vingtaine d'enfants. Suivie de la Belgique en mars 2021, dont le premier ministre, Alexandre De Croo, qui a affirmé au mois de mars que son pays allait rapatrier tous les enfants de moins de 12 ans. Dix enfants et six mères sont rentrés en juillet.
Selon Le Monde, aucun pays n’a manifesté son intention d’imiter le gouvernement belge, à ce stade. La Suisse fait aussi partie de ces pays frileux.
En avril, la Confédération était vivement critiquée pour son refus de rapatrier les voyageurs du djihad. Vingt experts de l’Organisation des Nations unies (ONU) ont jugé que la Confédération violait les droits humains et le droit international humanitaire en ne mettant pas en place les conditions nécessaires pour le rapatriement de deux petites filles de Syrie.
Depuis le début de l'année, 62 enfants sont morts dans les camps d’Al-Hol et de Roj en raison de conditions de vie insoutenables. 73 personnes y ont été assassinées. Les conditions de détention se détériorent et laissent craindre le pire.
Selon l’ONG britannique Save the Children, il est urgent de procéder à des rapatriements. Elle signale que ces deux camps abritent des dizaines de milliers de déplacés, dont quelque 40 000 enfants. (mbr)