C'est un message WhatsApp énigmatique qui s'est allumé sur leur smartphone. Mi-août, les agents de sécurité d'une succursale de Gazprom en Russie centrale ont tous reçu le même message: «Attention: une réunion aura lieu à 10 heures du matin sur le site du centre d'exploitation du pipeline», leur a écrit le manager, comme le rapporte le Financial Times en citant l'un des employés. Le message précisait:
Au même moment, en Sibérie, le personnel de la succursale de Gazprom chargé de la sécurité aurait également été convoqué à une réunion d'urgence. «Ils leur ont dit de déposer leurs téléphones et de se rendre par petits groupes au bureau du patron», a raconté la femme d'un employé au Financial Times.
La raison: le groupe énergétique russe voulait recruter ses agents de sécurité pour des bataillons de volontaires. Au moins deux personnes de chaque groupe devaient s'enrôler pour partir en guerre contre l'Ukraine, a-t-on entendu de la part des responsables des sites. Selon un ancien haut fonctionnaire russe, la création de ces unités militaires est un moyen pour les oligarques et les entreprises de prouver leur loyauté à Poutine.
Gazprom a fait entrevoir aux volontaires un soutien pour leur engagement dans la guerre: «On leur a promis des conditions de rêve», a déclaré au Financial Times une femme dont le mari avait refusé de se porter volontaire.
Selon elle, les hommes devraient recevoir au total plus d'un million de roubles (un peu plus de 11 000 francs) pour leur engagement, un équipement suffisant ainsi qu'un contrat avec le ministère de la Défense. Gazprom leur aurait également assuré qu'ils pourraient conserver leur emploi. Le centre de réflexion américain «Institute for the Study of War» (ISW) estime que les salaires sont tout aussi élevés. Les mercenaires de Gazprom pourraient ainsi toucher jusqu'à 7500 francs par mois grâce à diverses primes.
Les bataillons de Gazprom sont financés par le groupe lui-même, qui semble ainsi répondre à une demande du Kremlin. Un ancien fonctionnaire russe précise au quotidien américain:
Il semblerait que Gazprom ait reçu l'autorisation spéciale de le faire dès février de la part du Kremlin, comme le prouvent les recherches de la BBC.
Le parti Pravaya Rossiya, un mouvement impérialiste, se décrit comme un éminent soutien du bataillon «Fakel», lié à Gazprom. La formation fournit de l'équipement ainsi que des volontaires issus de ses propres rangs, rapporte le Financial Times. Leur objectif est de «restaurer l'empire russe», a déclaré au média Georg Borovikov, un nationaliste d'extrême droite et leader du parti.
Gazprom est l'une des plus grandes entreprises d'Etat en Russie. Elle produit principalement du gaz naturel. Le président du conseil d'administration de Gazprom, l'oligarque Alexeï Miller, est considéré comme un grand ami du président Vladimir Poutine.
Il est difficile de confirmer officiellement si le bataillon «Fakel» appartient effectivement à Gazprom. Borovikov est également resté discret:
Un ex-employé a également déjà fait le lien entre le bataillon et le groupe gazier, comme l'a rapporté la BBC.
Le Financial Times a également enquêté au sujet d'un autre bataillon du groupe énergétique, appelé «Potok». Des collaborateurs de la sécurité ont répondu à la demande du média en écrivant que l'existence de «Potok» était «secrète». D'autres ont demandé «Pourquoi? Vous voulez vous inscrire?», pour finalement nier totalement l'existence du bataillon.
En revanche, sur un autre site de la région de l'Oural, des employés ont confirmé l'existence du bataillon en rapport avec Gazprom. Il semblerait toutefois que seuls les employés de leur site aient été recrutés.
Le fait que les deux bataillons liés à Gazprom soient engagés en Ukraine est suffisamment prouvé. Par exemple par les explosions de colère d'Evguéni Prigojine, chef de la troupe de mercenaires Wagner: à la mi-mai déjà, il s'en prenait à ces deux unités, qu'il accusait d'avoir fui le front. Les soldats de «Fakel» seraient ceux qui ont quitté leurs positions à Bakhmout le 12 mai. (mam)
(Traduit et adapté par Nicolas Varin)