Roman Timtchak a grandi dans la région de Bakhmout et a longtemps combattu dans la ville ainsi qu'à la mine de sel de Soledar, située à proximité. Avant la guerre, ce commandant de compagnie de 40 ans tenait une boîte de nuit à... Bakhmout.
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Au cours des neuf derniers mois, l'unité de Timtchak s'est retrouvée à plusieurs reprises sur le champ de bataille et a vu les Ukrainiens perdre du terrain pas à pas. Cette interview a eu lieu avant la prise quasi-intégrale des lieux par le camp russe.
Vous avez combattu pendant des mois à Bachmut. Qu'est-ce qui a changé dans la tactique des Russes et des mercenaires de Wagner pendant cette période?
La tactique n'a pas du tout changé. La méthode du groupe Wagner est très simple: ils utilisent d'abord des drones pour déterminer où nos forces sont concentrées. Ensuite, leur artillerie tire sur les positions ainsi identifiées. Au début, le tir sur une seule position durait jusqu'à trois jours. Lorsque l'artillerie cesse le feu, l'infanterie passe à l'attaque. Une fois que nous avons tué les assaillants, leurs canons tirent à nouveausur nos positions.
On peut régulièrement lire que les mercenaires de Wagner attaquent par «vagues humaines». Comment faut-il se le représenter?
Nos positions sont généralement espacées d'environ 200 mètres chacune. Elles peuvent se couvrir les unes les autres de tirs et se soutenir mutuellement. Chacune de ces positions est tenue par un groupe d'environ dix à trente soldats.
Nous les fauchons, mais au bout de 15 à 20 minutes, le prochain groupe Wagner arrive. Les chars de combat russes n'interviennent généralement qu'en soutien, à l'arrière-plan, comme des canons ambulants. Cependant, l'artillerie était moins efficace dans le combat urbain.
Pourquoi?
Les bâtiments, surtout les tours, nous ont sauvés. Nous contrôlions les entrées et les appartements autour. Nous avons alors abattu l'infanterie qui nous attaquait.
Quel était le rôle des personnes nouvellement mobilisées dans l'armée russe?
Souvent, les mercenaires russes ont poussé les soldats de l'armée régulière devant eux en direction de nos positions. Nous avons tué ces soldats, mais malheureusement, cela a permis aux troupes de Wagner de voir d'où venaient nos tirs. Ensuite, ils ont ciblé nos fortifications avec tout ce qu'ils avaient: des chars, des lance-grenades automatiques, des missiles antichars. Et après cela, ce fut la nouvelle vague humaine.
Les mercenaires de Wagner sont-ils meilleurs que les soldats de l'armée russe?
Je ne dirais pas qu'ils sont meilleurs. Les commandants de Wagner n'ont simplement pas de pitié pour leurs combattants. Ils ne se soucient pas de la tactique, ils ne s'intéressent qu'aux résultats. Ils sont prêts à envoyer 100 mercenaires, même s'ils savent que 90 d'entre eux vont être tués.
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Comment les Ukrainiens survivent-ils aux tirs d'artillerie russes?
Nous nous cachons dans des bunkers et des abris, nous faisons tout pour survivre d'une manière ou d'une autre. Mais chaque jour, les canons et les mortiers russes tuent et blessent nos hommes. Tous ne peuvent pas se cacher dans les bunkers, certains doivent aussi veiller en haut des tranchées à ce que personne ne s'approche.
Combien de Russes avez-vous tué?
Pas tant que ça, au maximum une vingtaine. La plupart du temps, nous tirons sur les agresseurs au niveau de l'aine, c'est-à-dire en dessous de leur gilet pare-balles. Il est difficile de soigner les blessures à cette zone du corps.
Que ressentez-vous?
Quand tu te bats, il n'y a pas d'émotions, elles ne se manifestent qu'après le combat. Tu ne fais qu'attendre, tu essaies de survivre, tu travailles comme une machine. Tu as un objectif:
Je connais des Ukrainiens qui ont éliminé jusqu'à 200 adversaires. C'est ceux qui font fonctionner nos mortiers. Ils utilisent des drones pour localiser les positions russes et corriger le tir jusqu'à ce qu'ils touchent exactement les tranchées et les bunkers. Ce sont les personnes qui tuent le plus.
Que pensez-vous de la stratégie des dirigeants de l'armée ukrainienne consistant à laisser les Russes saigner à blanc à Bakhmout?
Mon avis sur la question est ambivalent. D'un côté, je pense qu'il aurait été préférable de se retirer et de se battre ailleurs. D'un autre côté, si nous l'avions fait, une autre ville aurait été touchée. Dans le cas de Bachmout, il s'agissait plus d'une bataille politique que de stratégie. (aargauerzeitung.ch)
(Traduit et adapté par Pauline Langel)