Depuis le début de la guerre en Ukraine, Lloyd James Austin III a toujours été en quelque sorte le troisième homme aux côtés du secrétaire d'État américain Antony Blinken et du président Joe Biden.
En tant que secrétaire à la Défense, Austin est jusqu’ici resté assez effacé, bien qu'il ait toujours été présent lors des voyages communs, comme lors du sommet de l'OTAN à Bruxelles fin mars et de la visite de Biden et Blinken à Varsovie. Il était rare que ses déclarations fassent la une des médias américains.
Mais les choses ont changé. L'homme du Pentagone est devenu le nouveau leader du gouvernement américain lorsqu'il s'agit de l'Ukraine, et plus particulièrement de la Russie.
Avec cette annonce, c'est toute la stratégie des Américains qui semble avoir atteint un nouveau niveau et ce changement tactique ne fait pas l'unanimité. Car il comporte le risque d'une escalade avec la Russie, au terme de laquelle l'alliance de l'OTAN pourrait se rapprocher d'une véritable confrontation avec Vladimir Poutine.
S'il s'agissait surtout jusqu’ici d'aider l'Ukraine à repousser l'agression russe, la déclaration d'Austin vise loin dans l'avenir. Vouloir affaiblir l'ennemi juré de longue date de manière à ce qu’il ne soit plus en mesure d'attaquer ses voisins donne une nouvelle dimension à la problématique.
Une nouvelle phase décisive de la guerre d'agression de Poutine a commencé. L'Ukraine, les Etats-Unis et leurs alliés adaptent leur stratégie en conséquence. Les objectifs présumés de la Russie, à savoir contrôler l'ensemble de l'Ukraine, du moins la capitale Kiev, et renverser le gouvernement, ont pour l'instant échoué. Le retrait des troupes russes est accompagné d'une offensive visant désormais à conquérir l'est et le sud du pays.
A Washington, on a décidé de faire échouer ce nouveau projet, stratégiquement et symboliquement. Ce n'est pas un hasard si c'est le secrétaire américain à la Défense, et donc l'armée, qui a désormais le rôle principal dans les couvertures médiatiques. Alors que le secrétaire d'État est déjà rentré dans la capitale américaine pour rendre des comptes aux membres du Congrès, Austin est resté en Europe.
Sur la base aérienne américaine de Ramstein en Allemagne, il a présidé une réunion de plus de 40 pays. Ce rassemblement de ministres de la Défense doit désormais se tenir chaque mois, en personne ou virtuellement, pour discuter de ce qui manque à l'Ukraine dans sa lutte défensive contre la Russie et de la manière de mieux se coordonner.
Après deux mois de retenue rhétorique, les Etats-Unis et leurs alliés passent en quelque sorte à la vitesse supérieure. Dans ce contexte, les annonces allemandes semblent également bien orchestrées. Le ministre de l'Économie, Robert Habeck, annonce que le pays sera indépendant des importations de pétrole russe dans quelques jours, donc plus tôt que prévu.
La ministre de la Défense Christine Lambrecht est parvenue à organiser ce qu’on attendait depuis longtemps: l'Allemagne envoie désormais elle-même des armes lourdes à l'Ukraine, à savoir des chars «Gepard». La peur d'une guerre nucléaire, le manque de formation des Ukrainiens, la coordination minutieuse avec les alliés: ces raisons qui ont jusqu'ici motivé le refus semblent soudain oubliées.
Le ministre américain de la Défense a déclaré à Ramstein: «Notre hôte allemand a pris une décision et je m'en réjouis.» Ces paroles ont dû mettre du baume au cœur du chancelier Olaf Scholz, souvent critiqué. Tout cela pourrait être lié à la fin des élections présidentielles françaises. Maintenant que le choix s’est porté sur Emmanuel Macron, l'Alliance peut passer aux étapes suivantes, tout à fait délicates.
La réponse de Poutine ne s'est pas fait attendre. Outre une note diplomatique dans laquelle la Russie met en garde les Etats-Unis et de nouvelles menaces nucléaires de la part du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le Kremlin intervient désormais également sur le plan économique. A partir de ce mercredi, le groupe énergétique public Gazprom suspend ses livraisons de gaz naturel à la Pologne et à la Bulgarie.
Parallèlement, l'armée russe multiplie les bombardements sur les infrastructures ferroviaires ukrainiennes. Les voies d'approvisionnement militaires en provenance de l'Ouest pourraient en être affectées. Le fait que Lloyd Austin et Antony Blinken soient venus en train de Pologne à Kiev malgré le risque sécuritaire existant est une démonstration de force délibérée.
Par rapport aux Américains et à d'autres alliés, le gouvernement fédéral allemand peines toujours sur le plan rhétorique et symbolique, malgré la récente autorisation de livraisons d'armes.
Depuis le début de la guerre, aucun membre du gouvernement allemand ne s'est rendu en Ukraine. Et lorsqu'il s'agit de formuler les objectifs de l'aide, l'art de la parole allemand semble plus erratique qu'éloquent.
C'est ainsi que sur le sol allemand, sur la base aérienne de Ramstein, le ministre américain de la Défense s'est exprimé également au nom de l'Allemagne. «Nous sommes ici pour aider l'Ukraine à gagner la bataille contre l'invasion injuste de la Russie», a déclaré Lloyd Austin.
Le temps des hésitations est révolu. «Nous avons encore beaucoup à faire», a déclaré Austin. L'Ukraine a besoin d'aide pour gagner, et ce «dès aujourd'hui». Il ne s'agit donc plus seulement de savoir «comment», mais aussi «à quelle vitesse».
Il y a quelques jours déjà, le porte-parole d'Austin à Washington annonçait fièrement que les Etats-Unis étaient désormais en mesure, en cas d’annonce du président américain Joe Biden, de livrer l'équipement nécessaire à Kiev en seulement 48 heures. Le message est clair: celui qui sollicite de l’aide à la Maison Blanche ne reçoit pas uniquement des conseils, mais aussi des armes.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder