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Ukraine: comment les rappeurs russes clashent Poutine

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«C'est un lâche!»: comment les rappeurs russes clashent Poutine

Les rappeurs russes s'opposent à Poutine dans leurs textes depuis de nombreuses années. Même si elle a poussé certains à l'exode, l'invasion de l'Ukraine n'a fait qu'amplifier leur combat.
13.05.2022, 18:3413.05.2022, 19:48
Solenn Cordroc'h / slate
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FACE, Morgenshtern, Oxxxymiron, Noize MC... Des rappeurs russes s'opposent au régime poutinien et ce combat de longue haleine s'est récemment amplifié avec les circonstances. Armés de leur flow et de leurs comptes sur les réseaux sociaux, ces figures de résistance donnent de la voix, depuis l'étranger, pour dénoncer la guerre du dirigeant russe en Ukraine.

Quiconque oserait, en Russie, qualifier les atrocités militaires en Ukraine d'«invasion» ou de «guerre» serait accusé de diffuser de fausses informations -un acte passible d'une peine pouvant aller jusqu'à quinze ans de prison. Qu'importe cette nouvelle loi réprimant toutes formes de contestation, les rappeurs russes condamnent ouvertement la guerre russe en Ukraine sur Instagram, Telegram ou sur scène... le tout, depuis l'étranger. Une solution temporaire ou définitive pour défier le Kremlin et s'exprimer en toute liberté, sans craindre d'éventuelles représailles.

Le désinvolte rappeur Morgenshtern a ainsi précipitamment quitté la Russie à la fin de l'année 2021 pour élire domicile à Dubaï, à la suite de l'ouverture d'une enquête pour trafic présumé de drogue sur Instagram. Dans un entretien, le rappeur dément cette version, affirmant que des responsables de l'administration présidentielle lui ont proposé un marché qu'il a refusé: à chaque mention positive du président Poutine, il aurait pu recevoir la somme de 1'110 euros.

Militantisme sur Instagram

C'est donc depuis Dubaï que le rappeur a publié en mars dernier sa chanson antiguerre intitulée «12». Outre son flow implacable et le style bling-bling d'usage, Morgenshtern y donne la parole à la mère de son producteur ukrainien, Vladislav Palagin, qui raconte la situation depuis le pays envahi dans un message vocal: «Mon cher fils, ce matin notre toit a failli être emporté. Nous avons d'abord voulu fuir, mais nous sommes finalement rentrés chez nous. En ce moment, nous sommes dans la cave, que nous avons transformée en bunker. Ne t'inquiète pas mon chéri.» Le morceau s'achève sur un message de paix:

«Il est ukrainien, je suis russe. On fait de la musique ensemble. Nous voulons la paix. Nous voulons l'amitié»

Autre rappeur notoire, FACE a lui aussi fait le choix de l'exil en signe de protestation. Pour ses 25 ans, le rappeur a reçu un curieux cadeau d'anniversaire de la part de Vladimir Poutine: la qualification d'«agent étranger». «J'en suis fier. C'est le meilleur cadeau que j'aie jamais reçu», a déclaré FACE avec son habituelle irrévérence au magazine Rolling Stone.

Sur Instagram, il ne mâche pas non plus ses mots et pointe du doigt l'État russe dans une série de messages sans équivoque: «L'État russe est à blâmer [...] Ils [réd: les autorités] se disent porteurs de l'esprit russe, mais ce sont des lâches [...] L'avenir de la Russie, ce sont des gens qui ont des pinceaux et des micros entre les mains, pas des mitrailleuses et des grenades. L'avenir de la Russie est la pensée et la liberté. L'avenir de la Russie, c'est nous.»

Toujours sur Instagram, le populaire rappeur Oxxxymiron a annoncé l'annulation de l'entièreté de sa tournée en Russie pour protester contre la guerre:

«Peu importe à quel point vous essayez d'expliquer que ce n'est pas une agression, mais de la défense, ce n'est pas l'Ukraine qui a envahi le territoire russe. C'est la Russie qui bombarde un État souverain en ce moment»

A la place, le rappeur a préféré organiser une série de concerts en Europe dont tous les bénéfices sont reversés aux réfugiés ukrainiens. Une annonce qui a suscité l'assentiment des fans internationaux du rappeur, venus en masse aux concerts pour conspuer en chœur la guerre de Poutine et soutenir l'engagement sans faille d'Oxxxymiron, réputé pour sa franchise face à l'obscurantisme et à la langue de bois.

Le premier concert de la tournée «Russians Against War» (RAW), qui s'est déroulé à Istanbul le 15 mars dernier et a été retransmis en simultané sur YouTube, sur Instagram et sur Twitch, a permis de récolter 30'000 dollars (28'400 euros). La deuxième date, le 24 mars, à Londres, a quant à elle rapporté 50'000 dollars.

Poutine n'aime pas le rap

Le rappeur Noize MC et la star de l'électro Monetochka ont quant à eux organisé la tournée «Voices of Peace» en République tchèque, en Allemagne, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne, afin de collecter des fonds pour les réfugiés ukrainiens. Plus récemment, les rappeurs FACE, Nerves et Porno Films ont annoncé, de leur côté, la tournée caritative «Stand with Ukraine», qui doit commencer le 15 mai à Tel-Aviv pour se conclure le 9 juin à Wroclaw, en Pologne.

Ces rappeurs sont loin d'en être à leur coup d'essai. Ils se sont déjà trouvés en confrontation avec les autorités russes pour leurs paroles évoquant un pays rongé par la violence, la drogue et l'alcool -des propos allant à l'encontre de l'idéologie exemplaire promue par le Kremlin. En 2018, le président Vladimir Poutine affirmait ainsi, dans un discours officiel, que «le rap, comme d'autres formes d'art moderne, repose sur trois piliers: le sexe, les drogues et la contestation». «Je suis surtout préoccupé par les drogues qui favorisent le déclin d'une nation», poursuivait le dirigeant.

La scène rap russe a dès lors subi de plein fouet de multiples pressions, semblables aux campagnes de l'époque soviétique à l'égard du rock'n'roll, accusé de promouvoir des valeurs pernicieuses de l'Occident. De nombreux concerts ont également été annulés, comme ceux des rappeurs Egor Kreed, Allj ou Husky. Ce dernier, arrêté par la police en novembre 2018, a été condamné à douze jours de prison pour «hooliganisme» -il s'était produit dans la rue après l'annulation de son concert pour «extrémisme»-, avant d'être relâché après quatre jours de détention.

Dans un article du 8 avril 2019, le média indépendant d'opposition Meduza calculait qu'au moins quarante concerts avaient subi le joug des annulations entre octobre et décembre 2018, la plupart étant des performances de rap ou de hip-hop, mais aussi de punk-rock ou d'électro. La raison de ces annulations, selon les autorités russes: des paroles faisant la promotion du suicide, de la prise de drogues ou de la culture gay.

IC3PEAK, duo provocant

Les gérants des salles de concerts ont eux aussi été victimes d'intimidations, allant d'une simple amende à la fermeture des établissements en cas de maintien des concerts incriminés. Dans le collimateur du régime russe, le duo IC3PEAK a essuyé six suppressions de concert sur les onze dates planifiées en Russie en 2018.

Ouvertement provocant, il se met en scène dans des clips bousculant la bienséance. On l'y voit manger de la viande saignante devant le mausolée de Lénine à Moscou, jouer perché sur les épaules de policiers antiémeutes devant le siège des services de sécurité, ou encore mettre en lumière le fléau des violences conjugales en Russie, dépénalisées en 2017 par la Douma, la chambre basse du Parlement. Aujourd'hui, leur clip «March», un plaidoyer contre la guerre mis en ligne en 2020, s'avère tristement prophétique.

Plutôt que de s'assujettir aux exigences du pouvoir ou de pratiquer toute forme d'autocensure, le duo a préféré publier un dernier clip avant de prendre le chemin de l'exode par prudence. «Dead but pretty» réunit en effet tous les ingrédients nécessaires pour s'attirer les foudres du gouvernement: un faux concert devant une foule survoltée de policiers et même quelques baisers auxquels s'adonnent des personnes du même genre.

Au-delà du monde du rap, des interprètes d'électro, de musique classique ou encore de musique pop ont condamné la guerre. Le duo électro Little Big a ainsi supprimé tous ses posts sur Instagram pour n'en conserver que deux, qui délivrent le même message sur fond noir ou bleu et jaune: «No war».

Silence et double discours

L'artiste de synthpop Serguei Khavro, connu sous le nom de Parks, Squares and Alleys, a écrit sur sa page Facebook: «Le 24 février, Poutine a envahi l'Ukraine et a transformé sa soi-disant opération spéciale en un génocide massif. Cela a été la goutte qui a fait déborder le vase et qui nous a forcés, moi et ma famille, à quitter immédiatement la Russie et à commencer une nouvelle vie en Géorgie.» Il poursuit:

«Je ne publierai rien de nouveau tant que cette guerre ne sera pas terminée»

Il en va de même pour les rockeurs de Mumiy Troll, qui ont décidé de faire une pause indéfinie. «La musique est morte», ont-ils indiqué sur Facebook. Le leader du groupe Akvarium, Boris Grebenchtchikov, a quant à lui qualifié la guerre de «folie» dans une vidéo publiée sur Instagram. Considéré comme le Bob Dylan russe, le chanteur avait déjà été mis à l'index à l'époque soviétique pour dissidence.

Mais tous les acteurs de la scène musicale sont loin de prendre parti et certains s'enlisent même dans un double discours. Le groupe ShortParis a notamment diffusé une vidéo que beaucoup ont interprétée comme une déclaration contre la guerre, tout en maintenant leur tournée d'avril en Russie, malgré une vague de critiques. «Nous considérons nos concerts comme une possibilité d'unir une communauté, de créer un sentiment de solidarité et de soutien en son sein», s'est justifié le groupe sur Facebook.

De son côté, l'interprète du groupe Boulevard Depo a déclaré sur Instagram que sa musique resterait apolitique. «Ma musique sortira comme avant. Et tout comme avant, elle ne sera pas de nature sociale et politique. La musique, quelle qu'elle soit, doit rester de la musique et ne pas être l'instrument de la propagande de qui que ce soit.» Malgré l'engagement sans faille de quelques artistes, de nombreux musiciens de premier plan demeurent, pour le moment, silencieux. Par déni, par prudence ou par résignation?

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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