Les Ukrainiens espèrent que l'arrivée du Leopard 2 sera un tournant décisif dans la lutte contre l'armée russe. Lundi, sa voisine la Pologne a indiqué qu'elle allait demander l'accord de Berlin pour livrer à Kiev quatorze de ces chars de fabrication allemande que l'on dit très performants.
Mais est-il si fort qu'on le dit ce tank? Pour se faire une idée, rembobinons jusqu'en 2016, en Turquie, où la réputation du char de combat a souffert. La faute au «traumatisme d'al-Bab», comme les militaires turcs ont surnommé la bataille en question avec le recul.
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En août 2016, le président turc Erdogan a envoyé son armée de l'autre côté de la frontière, dans le nord de la Syrie, pour chasser le groupe terroriste «État islamique» (EI) ainsi que les combattants kurdes de la liberté de leurs dernières positions dans la région. Au début, l'«opération Bouclier de l'Euphrate» s'est déroulée comme prévu. Les troupes d'Erdogan ont rapidement progressé et ont atteint en décembre la petite ville d'al-Bab, à 35 kilomètres au nord-est d'Alep, le lieu précis où le fiasco a commencé.
Lors des combats devant la ville, l'«Etat islamique» a détruit, selon ses propres indications, dix chars de combat de type Leopard 2 de l'armée turque. Le groupe terroriste a utilisé les images des épaves de chars brûlés pour sa propagande. Les spécialistes du réseau de recherche Bellingcat ont tout de même pu confirmer de manière indépendante trois des tirs. Cinq autres sont considérés comme très probables. Pour l'armée turque, la perte de ses chars, de fabrication allemande et prétendument indestructibles, a été un traumatisme, comme l'a rapporté plus tard le Spiegel. Mais comment l'EI a-t-il pu détruire autant de ces chars de combat ultramodernes?
Selon ses propres indications, le groupe terroriste a éliminé cinq des Leopard 2 avec des missiles antichars, deux avec des charges explosives et un avec un obus de mortier. L'EI n'a pas donné d'informations concrètes sur les autres destructions. Cette vidéo, diffusée à l'époque par l'EI, est censée montrer une partie des Leopard 2 détruits:
Selon l'ancien soldat de la Bundeswehr et expert en défense aérienne Markus Richter, la vidéo ne montre toutefois pas toute la vérité: «Cette vidéo de Leopard 2 détruits est souvent montrée pour prouver sa prétendue vulnérabilité aux armes antichars. C'est faux», écrit Richter sur Twitter.
Dieses Video von zerstörten Leopard 2 wird oft gezeigt, um seine angebliche Verwundbarkeit gegen Panzerabwehrwaffen zu beweisen. Falsch. Diese Leopard 2 wurden vom IS gekapert und kurz darauf von der türkischen Luftwaffe mit 500 kg Bomben zerstört. https://t.co/5d2WugAQH9
— Der Gepardkommandant (@gepardtatze) January 13, 2023
La Turquie dispose de plus de 350 Leopard 2 de variante A4 que l'Allemagne avait vendus à son partenaire de l'OTAN au début des années 2000. Après le «traumatisme d'al-Bab», Ankara a demandé à la République fédérale d'Allemagne d'équiper ses Leopard 2 d'un meilleur blindage et d'armes de défense contre les projectiles en approche, ce que Berlin a refusé de faire. Les experts militaires estiment toutefois que ce n'est pas seulement l'équipement plus ancien des Leopard 2 turcs qui les a rendus vulnérables aux attaques de guérilla de l'EI.
«Il ne fait aucun doute que la manière dont l'armée turque a utilisé les chars allemands a contribué aux pertes», écrit le journaliste spécialisé Sebastien Roblin, dans le magazine National Interest, à propos de la bataille d'al-Bab.
Selon Roblin, les troupes saoudiennes ont connu une situation similaire avec leurs chars américains de type Abrams M1 dans la lutte contre les rebelles Houthi au Yémen. Les Abrams M1 et les Leopard 2 sont considérés comme étant à peu près aussi puissants. Lors de la lutte contre les talibans en Afghanistan, le Leopard 2 s'est mieux défendu, écrit Sébastien Roblin.
Les armées canadienne et danoise y ont combattu avec des variantes plus modernes du Leopard 2, mieux protégées contre les engins explosifs et les projectiles en vol. En 2008, deux soldats danois auraient été tués lors d'une attaque contre leur Léopard, alors que toutes les autres attaques contre les chars de ce type n'auraient causé que des dommages mineurs.
Pour l'armée ukrainienne, l'utilité du Leopard 2 ne devrait pas faire de doute malgré le «traumatisme d'al-Bab». D'autant plus que les Ukrainiens se battent contre une armée régulière et non contre une troupe de guérilla comme l'«Etat islamique».
Plusieurs pays de l'OTAN veulent envoyer le Leopard 2 à Kiev, mais la République fédérale d'Allemagne, en tant que pays producteur, refuse jusqu'à présent de le livrer. La pression des alliés sur Berlin augmente, surtout depuis que la Grande-Bretagne a accepté de livrer son char de combat comparable de type Challenger 2.