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Elections Italie 2022: il y a «une rhétorique fasciste»

Giorgia Meloni, la cheffe de file de l’extrême droite italienne, est candidate aux élections italiennes 2022 et favorite pour occuper la présidence du Conseil. Médaillon: Marc Lazar.
Giorgia Meloni, la cheffe de file de l’extrême droite italienne, est candidate aux élections italiennes 2022 et favorite pour occuper la présidence du Conseil. Médaillon: Marc Lazar.Image: AP

Elections italiennes: «Certaines postures évoquent la rhétorique fasciste»

Grand spécialiste de la politique italienne, le Français Marc Lazar dresse le portrait de la coalition de droite favorite aux élections du 25 septembre et de la possible future cheffe du gouvernement, Giorgia Meloni, dont le parti, Fratelli d'Italia, puise dans l'histoire du fascisme transalpin.
19.09.2022, 07:1626.09.2022, 17:39
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La coalition de droite est donnée gagnante aux élections parlementaires italiennes du 25 septembre. Elle rassemble Fratelli d'Italia, la Lega et Forza Italia, respectivement emmenés par Giorgia Meloni, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. Grand spécialiste de la politique italienne, le professeur Marc Lazar, président de la School of Government à la Libre Université des sciences sociales (LUISS), à Rome, nous fait pénétrer dans l'intimité de cette alliance électorale. Malgré de nettes divergences en son sein sur la guerre en Ukraine – la Lega, pro-Poutine, a-t-elle reçu une part des 300 millions de dollars que le Kremlin aurait alloués à des partis étrangers depuis 2014? –, la coalition de droite apparaît solide face à une gauche divisée.

Quelles sont les grandes lignes du programme de la coalition de droite, donnée favorite aux élections italiennes du 25 septembre?
Marc Lazar:
Cette coalition, qui entend renverser la table sur un grand nombre de sujets, se veut d’abord rassurante sur des questions majeures qui engagent l’Italie à l’international: bien que divisée en son sein sur la guerre en Ukraine, elle indique qu’elle resterait dans les deux grandes alliances que sont l’OTAN et l’Union européenne, tout en manifestant son souhait d’avoir une Europe plus politique, moins bureaucratique, ce qui constitue un grand point d’interrogation sur ce que signifie cette proposition.

Passées ces garanties à l’OTAN et à l’Union européenne, que veut cette coalition?
Elle entend favoriser un plus grand développement de l’économie italienne, principalement par une baisse d’impôts, même si cette proposition est le sujet de divergences au sein de la coalition entre la Ligue de Matteo Salvini et Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni. La coalition a ensuite des propositions très nettes sur des questions de sécurité. Elle veut, entre autres, une régulation des flux de migrants. Elle soutient une idée, qui suscite peut-être le plus de controverses actuellement en Italie, à savoir l’élection du président de la République au suffrage universel, sans qu’on sache exactement quels seraient les pouvoirs qui lui seraient conférés.

«Il est question aussi de rétablir la production d’énergie nucléaire, alors que les Italiens ont par deux fois refusé le maintien de cette énergie. Or, on assiste en Italie à un retournement de l’opinion sur cette question, en lien avec la crise énergétique et la guerre en Ukraine»

A propos des impôts, sur quoi les partis de la coalition de droite divergent-ils?
Sur le type d’imposition. La Ligue de Matteo Salvini est pour une «flat tax» de 15% pour tous jusqu’à 100 000 euros de revenus. Giorgia Meloni, bien que favorable, elle aussi, sur le principe à une baisse des impôts, veut d’abord voir quelle sera la marge de financement de l’Etat avant d’engager une réforme en vue d’une éventuelle réduction de ceux-ci.

Les associations LGBT craignent l’arrivée au pouvoir de cette coalition. Pourquoi?

«L’arrivée au pouvoir de la coalition de droite fait incontestablement peur à ces associations représentantes de minorités. En effet, à plusieurs reprises, Giorgia Meloni a expliqué qu’elle était résolument opposée à ce qu’elle appelle le lobby LGBT»

Elle a aussi fait des déclarations très ambiguës sur le fait qu’elle était en faveur de la culture de la vie contre la culture de la mort. Elle a déposé en 2019 comme conseillère municipale à Rome une proposition, rejetée à l’époque, consistant à enterrer les fœtus morts, avortés, donc, y compris sans l’autorisation de la mère. Même si, depuis l’arrêt de la Cour suprême américaine défédéralisant le droit à l’avortement, elle a dit qu'elle ne reviendrait pas sur la loi légalisant l’IVG, les femmes s’inquiètent de la possibilité d’un détournement de la loi par la coalition de droite, voire d’un retour à cette idée d’imposer l’enterrement des fœtus morts, qui vise à stigmatiser et à humilier les femmes qui recourent à l’interruption volontaire de grossesse.

Tous les partis de la coalition partagent-ils la même ligne sur ces questions de société?
Non. Si Fratelli d’Italia et la Ligue partagent ces positions conservatrices, voire réactionnaires, ce n’est pas le cas de Forza Italia. Le parti de Silvio Berlusconi est très discret là-dessus.

Sur la guerre en Ukraine, quelles sont les positions de chacun à l’intérieur de la coalition?

«Cette guerre, c’est un point névralgique au sein de cette coalition, son talon d’Achille»

En quoi et pourquoi?
Giorgia Meloni a immédiatement condamné l’invasion russe, soutenu le peuple ukrainien, et alors qu’elle était dans l’opposition à Mario Draghi, le président du Conseil démissionnaire, elle lui a apporté son soutien sur les sanctions contre la Russie et même pour l’envoi d’armes au gouvernement ukrainien.​

«A l’inverse, la Ligue de Matteo Salvini est une formation pro-russe. La Ligue a signé un accord avec le parti de Vladimir Poutine, Russie unie. Matteo Salvini a encensé à plusieurs reprises le chef de l’Etat russe, disant même qu’il faudrait des Poutine en Europe. On suspecte même que la Ligue a pu obtenir des financements de la part de Russie unie»

La Ligue, du bout des lèvres, a condamné l’invasion russe, mais elle s’oppose à l’envoi d’armes et de plus en plus ces jours-ci aux sanctions à l’égard de la Russie, au motif que ces dernières sanctionnent surtout les populations italiennes les plus faibles. Il faut bien voir que beaucoup d’entreprises du Nord de l’Italie, le fief historique de la Ligue, travaillent avec la Russie.

Qu'en est-il de Silvio Berlusconi sur ce sujet?
Silvio Berlusconi de Forza Italia a toujours dit que son «grand ami» Vladimir Poutine était quelqu’un d’absolument admirable. Il a mis un peu de temps avant de condamner l’invasion russe de l’Ukraine, puis de se dire très déçu par son ami Poutine. Berlusconi a approuvé légèrement les sanctions contre la Russie mais il est opposé à l’envoi d’armes à l’Ukraine.

Mais qui est Giorgia Meloni?

Giorgia Meloni apparaît comme la grande vedette des élections du 25 septembre. Qui est-elle?
D’abord, c’est une femme. C’est une femme dans un milieu politique très masculin, y compris dans la formation à laquelle elle appartient et qu'elle dirige.

«C’est une jeune femme, issue de Rome, qui, très rapidement, dès l’âge de 15 ans, est entrée en politique dans des organisations de jeunesse ouvertement fascistes. Il y a eu une socialisation politique dans le fascisme. Dans les années 1990, elle déclarait haut et fort que Mussolini a été un grand chef d’Etat et de gouvernement. Par conséquent, Giorgia Meloni a été fasciste»

Depuis la création de Fratelli d’Italia en 2012, d’un côté elle a continué sur ce filon fasciste, elle ne l’a jamais répudié, en tout cas jusqu’à une date très récente. Et l’on sait qu’elle est entourée de nostalgiques du fascisme dans son parti, parfois à des postes de direction. Il y a encore des candidats de Fratelli d’Italia ouvertement fascistes, comme il y a des fascistes dans la base de son parti et de son électorat.

Que fait-elle d'un autre côté?
Ce qu’essaie de faire Giorgia Meloni depuis 2018, c’est progressivement de transformer son parti sans complètement renier le fascisme, parce que pour elle, le fascisme appartient à l’histoire et que ce n’est pas la peine de revenir là-dessus. Si elle considère les lois antisémites de 1938 de Mussolini comme une abomination, elle a gardé dans Fratelli d’Italia la fameuse flamme tricolore de l’ancien parti néofasciste, le Mouvement social italien, qui se trouve sur la tombe de Mussolini. Elle essaie donc de transformer ce parti en parti conservateur, nationaliste, souverainiste, critique de l’Europe, même si elle dit maintenant qu’elle ne sortirait plus de l’Union européenne. Elle se présente comme une Italienne chrétienne.

Dans quel sens?

«L’un de ses slogans favoris est "Dieu, famille et patrie". C’est pour cela qu’elle est pour la famille traditionnelle et contre ce qu’elle nomme le lobby LGBT. Elle est aussi très hostile à l’immigration et à la religion musulmane au nom de la défense d’une identité chrétienne»

De ce point de vue-là, elle est très proche du parti polonais au pouvoir, Droit et Justice, et très proche aussi du premier ministre hongrois Viktor Orban. Mais avec celui-ci, elle a une divergence de fond sur la guerre en Ukraine. Giorgia Meloni a eu dans le passé et parfois encore maintenant, des déclarations enflammées, une manière de s’adresser au peuple qui évoque la rhétorique fasciste, y compris dans les postures qu’elle adopte. Et depuis quelque temps, dans sa campagne électorale, elle essaie de rassurer les milieux financiers italiens et internationaux, de rassurer les capitales européennes et d’affirmer son soutien à un positionnement atlantiste. Cela dit, elle ne veut pas totalement rompre avec le passé, parce qu’elle a besoin de maintenir cette présence de nostalgiques du fascisme dans son parti et dans son électorat, tout en cherchant en permanence à s’adresser à un autre public qui, lui, n’est pas du tout fasciste, mais de droite conservatrice, traditionnaliste, anti-gauche.

Sur un plan plus personnel, Giorgia Meloni a été élevée pour ainsi dire sans père…
Son père est parti très tôt du foyer familial. Elle a dit qu’elle ne souhaitait pas le revoir. Elle, qui entend représenter la famille traditionnelle, a élevé seule sa fille, même si elle a depuis peu un compagnon. C’est un peu le paradoxe. Qu’on retrouve avec Matteo Salvini, qui s’affiche avec ses conquêtes, la dernière ayant 19 ans de moins que lui, alors qu’il se pose comme un défenseur de la famille traditionnelle et des valeurs chrétiennes.

«Des valeurs chrétiennes qui, pas plus que celles de Giorgia Meloni, ne sont les valeurs du pape François, mais celles des positions les plus traditionalistes de l’Eglise catholique. Meloni et Salvini, contrairement à Berlusconi, sont sur des positions ethno-culturelles»

Pourquoi cette coalition a-t-elle le vent en poupe?
Il faut être très prudent dans la réponse. D’un côté, cette coalition a le vent en poupe, elle réunit 45% d’intentions de vote, mais ce qu’il faut surtout voir, c’est que la progression la plus spectaculaire se fait à l’intérieur, puisque Fratelli d’Italia, avec 24% à 25% d’intentions de vote, devient le parti dominant de cette coalition et fait de Giorgia Meloni une présidente du Conseil en puissance. Aux élections de 2018, Fratelli d’Italia avec Meloni à sa tête faisait seulement 4%. Cette progression de 20 points est absolument spectaculaire.

Alors, pourquoi cette progression?
Parce que le parti dominant de cette coalition, contrairement aux deux autres, a été dans l’opposition depuis 2012. Et les Italiens depuis 1994, à chaque élection, votent pour l’alternance. Si bien qu’aujourd’hui, Fratelli d’Italia apparaît comme l’alternance possible, voire l’alternative: pourquoi ne pas essayer Giorgia Meloni?, se demande une partie des Italiens. Elle apparaît comme quelqu’un de neuf, alors qu’elle est en politique depuis longtemps, qu’elle a même été ministre du gouvernement de Silvio Berlusconi, la plus jeune, d’ailleurs, je crois, d’un gouvernement italien, entre 2008 et 2011.

«Et puis, beaucoup d’Italiens, même s’ils ne sont pas majoritaires, se reconnaissent dans ce qu’elle propose d’un point de vue programmatique, et notamment cette dimension sur les valeurs, conservatrices, parfois réactionnaires, en réaction à toutes les mesures de libéralisation sociétales qui existent en Italie»

Les Italiens ont donc une grosse envie de droite?

«Attention! Si cette coalition gagne, c’est pour une raison et c’est capital: c’est qu’elle est unie»

Il faut faire intervenir ici le mode de scrutin pour comprendre. Les deux tiers des députés et des sénateurs vont être élus à la proportionnelle et le tiers restant, au scrutin uninominal majoritaire à un tour, celui arrivant en tête est élu quel que soit le pourcentage de voix qu’il obtient. Or la coalition de droite aura systématiquement un seul candidat dans ces collèges uninominaux. En face, le Centre de Matteo Renzi, le Parti démocrate d’Enrico Letta et ses petits alliés, le Mouvement 5 étoiles sont divisés, n’ayant pas réussi à se mettre d’accord. Ce qui avantage bien évidemment la coalition de droite. Mais si l’on fait l’addition des intentions de vote pour le Centre, pour le Parti démocrate et ses alliés, pour le Mouvement 5 étoiles, on obtient à peu près la même chose que pour la coalition de droite.

«Cela étant, oui, pour des raisons politiques, sociologiques et culturelles, la droite italienne, unie dans sa diversité, dispose d’un solide "bloc social", pour parler comme le théoricien marxiste Antonio Gramsci»

Pour autant, il faut s’enlever cette idée selon laquelle les Italiens votent majoritairement pour la droite. Ils votent beaucoup pour la droite, mais c’est parce que tous ceux qui s’opposent à la droite ont été incapables de se mettre d’accord.

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